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Turquie : de la piétaille à la station service de l’UE ?

vendredi 16 mars 2007, par Marillac, Murat Yetkin


© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction
© Radikal 07/03/2007

Aux portes du Caucase, du Moyen-Orient et d’un Kurdistan riche en pétrole et plus que jamais tourné vers l’Ouest, la Turquie est sur le point de devenir l’un des Etats pivots sur le marché mondial des hydrocarbures. Un atout non négligeable pour une diplomatie turque plus sollicitée que jamais.

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Les critiques adressées à la Turquie depuis l’UE peuvent généralement être classées en deux catégories.

- La première catégorie correspond à toutes les critiques formulées de temps à autre et visant les lacunes de la Turquie en matière de droits de l’Homme et de démocratie. Et quel que soit le gouvernement en place en Turquie, de telles critiques sont mal perçues par les pouvoirs en place. Elles sont perçues comme des ingérences de l’étranger dans les affaires internes du pays, sans manquer non plus de susciter la réaction de l’opinion publique. Les critiques de ce genre proviennent en général, à quelques exceptions près, des socialistes, des sociaux-démocrates et des verts.

- La seconde catégorie, quant à elle, contient des critiques dirigées non contre le système politique turc mais plutôt contre sa culture, son identité, etc... Et les responsables porteurs de telles critiques sont toujours considérés par les gouvernements et les administrations en place comme des amis de la Turquie. Ces critiques-là proviennent de la droite européenne et en fait des rangs chrétiens-démocrates.

Dans les moments difficiles, ce sont les verts et la gauche européenne dont les critiques peuvent blesser la Turquie qui se retrouvent à ses côtés.
Et cette droite européenne qui semble être partisane de la Turquie dans les phases plus faciles, se retrouve en face de la Turquie.
Parce que si la gauche européenne souhaite une mutation de la Turquie, la droite, quant à elle, n’aspire qu’à la refuser, elle et son passé.

L’exemple le plus concret restant aujourd’hui celui offert par l’affrontement des deux candidats pour les élections présidentielles en France : Nicolas Sarkozy déclare que « la place de la Turquie ne peut pas être en Europe, parce qu’elle n’appartient pas à l’Europe », quand Ségolène Royal annonce que « si la Turquie remplit les conditions requises, alors il appartiendra aux leaders politiques de convaincre les opinions publiques ».

Les oublis de la guerre froide

Tout au long de la guerre froide, il n’est pas venu pas à l’esprit des chrétiens-démocrates de France, d’Allemagne, du Danemark et d’ailleurs que la Turquie pouvait ne pas appartenir à l’Europe, être musulmane, de culture asiatique, très pauvre et très peuplée. A ce moment-là, il était grand besoin de voir la Turquie liée à l’Alliance occidentale par sa géographie et sa puissance militaire, d’une Turquie poste avancé de l’Europe face au bloc de l’Est et du fantassin turc comme piou-piou européen.

Aujourd’hui, la Turquie ne se trouve plus en marge des développements mondiaux. Elle est au contraire bien au centre : toute cernée qu’elle est de conflits et de menaces, sans même parler d’un prix à sa solidarité, on tente de ne pas figurer sur la même photo qu’elle. Mais dans le même temps, on attend d’elle qu’elle s’adapte aux politiques européennes et ce, jusqu’aux questions de sécurité.

Et puis désormais, c’est une toute nouvelle dimension qui remonte en surface dans le cadre des relations avec l’Europe : le fait que les alternatives que la Turquie est en mesure d’offrir à l’acheminement des énergies en provenance des bassins de Bassorah et de la Mer Caspienne puissent rencontrer les besoins en hausse de l’UE ne cesse de faire réfléchir les capitales européennes.

La possibilité de voir la Turquie, en cas de réalisation de tous ces projets, côtoyer et transporter quelques 7% du volume mondial des échanges de gaz et de pétrole risque d’en faire une gigantesque station service, à la fois pour le gaz et pour le pétrole.

Ayant conçu la Turquie comme un poste militaire avancé durant la guerre froide, la droite européenne cherche aujourd’hui, en lui taillant le rôle sur mesure de station service, à faire en sorte que ses demandes ne soient pas trop grandes, et, en fait, à ce que le gouvernement et le peuple turcs se satisfassent de ces possibilités financières et matérielles.

Or, il ne peut en être question. La Turquie n’aspire pas à être la caserne ni la dépôt pétrolier de l’UE mais à en être un partenaire politique, commercial, social et culturel à 100 %, doté des mêmes droits que les autres.

Et il est clair qu’elle le mérite pour autant qu’elle ait su être à la hauteur de ses engagements.

On comprend très bien que l’UE est très embêtée par le fait que le gouvernement turc ne signe pas l’accord sur la Communauté Energétique Européenne. On se rend compte dans l’enceinte européenne que cette position est une première de la part d’une Turquie qui « montre ses dents ». Et il y a intérêt à maintenir cette position. On conçoit aisément, en considérant le poids croissant de la Russie dans l’équation énergie-politique-sécurité comme les nouveaux équilibres en gestation dans la crise nucléaire iranienne, que l’atout énergétique est une carte que la Turquie doit apprendre à manier avec dextérité.
La Turquie doit effectivement continuer à appliquer pour elle les réformes d’adaptation aux règles européennes. Mais sur les sujets concernant des intérêts communs, et l’on voit combien l’énergie est appelée à tenir un grand rôle dans ce cadre, elle doit cesser de jouer au bon écolier, et commencer de faire de la politique selon les contraintes du moment.

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