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Que se passe-t-il chez les Kurdes ? (2)

jeudi 7 septembre 2006, par Marillac, Neşe Düzel

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 28/08/2006

Neşe Düzel nous propose ici une interview de Haşim Haşimi, notable kurde du sud-est anatolien, très bon connaisseur de la réalité kurde. Alors que la Turquie s’interroge sur les mesures à prendre contre un parti kurde (le PKK) de plus en plus actif et violent, sur l’attitude à adopter face aux nouvelles réalités irakiennes, il nous éclaire sur le fond des problèmes comme sur les perspectives de sortie par le haut…
- Suite de l’article « Que se passe-t-il chez les Kurdes ? (1) »


- Bien alors quelle est la politique kurde d’un Iran qui bombarde les positions du PKK sur la montagne de Kandil ?

D’un côté, les affrontements entre le PKK et l’Iran accélère la participation et le soutien des Kurdes d’Iran au PKK. La question kurde en Iran ne cesse de croître.
Par le passé, les intellectuels et leaders kurdes iraniens n’ont jamais pu développer une politique intelligente. L’ayatollah Khomeyni, après la chute du Shah, leur a proposé l’autonomie. Sur pression de certains Kurdes vivant en Europe, cette proposition a été refusée. Dans le contexte de l’Etat iranien, les mots de Kurdes et de Kurdistan ne suscitent pas d’allergie mais aujourd’hui il n’est pas d’homme comme Khomeyni aux décisions duquel on ne puisse porter d’objections. En outre, la structure qui émerge en Irak n’est pas sans peser sur les Kurdes de Turquie, de Syrie et d’Iran.

- Quelles sont les relations de Barzanî avec l’Iran ?

Le gouvernement kurde a pour principe de bien s’entendre avec tous ses voisins. Ses relations avec l’Iran sont bonnes également. Barzanî s’est rendu en Syrie et en Iran. Il a été reçu par les plus hautes autorités à chaque fois. Téhéran a ouvert des bureaux politiques dans le nord de l’Irak. Il y a pris part à des cérémonies officielles. Et regardez donc… Moi je suis un citoyen de Turquie. J’ai accompli un mandat de maire et deux de député. Je connais Barzanî de près et en tant que personne qui par le passé a connu la torture, je souhaite proposer ma contribution au règlement de cette question.

- Quelle est l’influence politique de Barzanî sur nos concitoyens kurdes ?

Le barzanîsme en Turquie est historique et ne remonte pas à Mesud Barzanî. Sa prégnance provient du poids de son père Mustafa Barzanî. L’influence de cet homme sur les Kurdes en dehors de l’irak était certaine. Mais avec la montée du PKK, le poids des sympathisants du PDK en Turquie a connu une forte érosion. Ce n’est qu’après la première guerre du Golfe que les institutions et l’approche politique développées par les Kurdes d’Irak ont commencé à attirer l’attention des autres Kurdes. En dernier lieu, le gouvernement kurde fédéré créé en Irak à la suite de l’occupation américaine n’a pas manqué de susciter une vague de satisfaction dans le monde kurde : c’est devenu un centre d’intérêt très attrayant. Tant et si bien que de nombreux Kurdes de Turquie ont développé des liens d’affaire avec le nord de l’Irak. Mais la situation est en train d’évoluer.

- Que se passe-t-il ?

Plus particulièrement après que le Secrétaire Général du MIT [services secrets turcs, ndt] se soit rendu au nord de l’Irak, je pense qu’on est parvenu à un accord. Depuis 5 ou 6 mois, c’est une nouvelle approche, une nouvelle politique qui est peu à peu mise en place. L’Etat kurde en Irak commence de confier des projets importants liés au pétrole ou des marchés publics concernant des infrastructures publiques à des firmes proches de l’Etat turc. On se sert des liens et relations économiques pour diminuer les tensions et apaiser les rapports politiques.

-  « En Turquie sur la scène politique kurde, celui qui n’est pas du PKK ou qui est contre le PKK est en général un partisan de Barzanî », nous dit Cengiz Candar, l’un des plus fins connaisseurs de la question. Souscririez-vous à ce point de vue également ?

Il existe une sympathie réelle à l’endroit de Barzanî. Dans une large mesure, ils considèrent tous Barzanî avec du respect. Par rapport à Talabanî, il tient une position bien plus nationaliste et ceci parmi les intellectuels kurdes de tous les pays est généralement très bien perçu. La formation politique et institutionnelle qui tend vers l’étatisation au nord de l’Irak ne peut pas ne pas peser sur l’ensemble des Kurdes de la région. Ce qui ne signifie pas pour autant que tous les Kurdes du Sud-Est anatolien sont des partisans de Barzanî. En outre, Barzanî est Naksibendi [nom d’une confrérie religieuse soufie issue d’Asie Centrale et très répandue dans le monde kurde, mais aussi turc, ndt]. Le naksibendisme constitue une appartenance très sérieuse parmi les Kurdes de Turquie et il ne faut pas oublier que c’est un mouvement qui s’y est structuré depuis l’Irak. Et puis il y a donc tous ces liens. Dans la région et parmi les Kurdes, les liens tribaux, confrériques et d’obédience religieuse sont très importants. Encore aujourd’hui en Irak, l’identité religieuse supplante l’identité politique. Par exemple, les Kurdes chiites d’Irak, au nombre de 800 000 personnes, n’ont pas voté pour les Kurdes mais pour les Chiites. Les Turcomans chiites ont fait de même plutôt que d’accorder leurs suffrages aux partis turcomans.

- En Turquie, parmi les Kurdes, peut-on dire que l’identité religieuse supplante l’identité ethnique ?

Les Kurdes sont religieux et conservateurs. C’est encore une réalité régionale. Les liens confrériques ou religieux sont très forts parmi eux, mais avec la montée en puissance du PKK, c’est l’identité ethnique qui est passée au premier plan. Alors que les Kurdes ne soutiennent plus les luttes violentes lancées ces derniers temps et que la politique à courte vue du DTP a créé un vide politique, aujourd’hui c’est l’identité religieuse qui passe au premier plan. Ce vide politique, ce sont des forces qui tiennent les motivations religieuses au-dessus des autres qui l’ont comblé. Tant et si bien que des gens qui savent utiliser la sensibilité religieuse des Kurdes parviennent aujourd’hui à tenir des rôles majeurs. Ce sont des dizaines de fondations et d’associations religieuses qui ont été créées. Ce sont quelques 100 000 personnes qui ont participé aux marches de protestation contre les caricatures du Prophète. 85 000 manifestants encore contre la guerre menée par Israël. Ce sont ces fondations et ces associations qui ont organisé tout cela. Elles ne se situent pas dans la ligne d’un parti politique. Elles critiquent l’AKP et le gouvernement.

- Qui a fondé ces organisations ?

Je n’ai pas trop creusé la question. Mais je sais que les confréries sont gênées par ce processus. Ces organisations disposent de leurs propres revues et publications. A leurs meetings affluent des centaines de milliers de Kurdes. C’est un message très sérieux. Les mouvements mettant en avant des motivations religieuses se sont multipliées dans le Sud-Est. Et les intellectuels kurdes n’en ont pas conscience. Parce qu’ils sont en rupture avec le peuple. Mais la religion et le conservatisme sont les réalités de la région. Les partis de la ligne du Selamet, du Refah, du Fazilet et de l’AKP n’ont jamais connu de scores inférieurs à 15 % dans la région quand bien même ils pouvaient descendre en- dessous de 2% à l’Ouest de la Turquie. Le même phénomène se produit en ce moment dans la zone kurde d’Irak. Dans la région de Talabanî, l’alternative politique à Talabanî n’est pas Barzanî mais ces partis religieux. Et c’est la même chose dans celle de Barzanî.

- On ne peut pas définir les partis politiques islamistes en développement au nord de l’Irak en se contentant d’une expression euphémistique telle que les « mouvements mettant en avant des valeurs religieuses ». Ne s’agit-il pas de partis positionnés sur une ligne radicale, sur celle des Frères Musulmans ?

Oui… Islamistes… Il est en effet question de cela. Il s’agit bel et bien d’une mouvance islamiste développée en réaction aux Etats-Unis et à Israël. Personne n’a souhaité jusqu’à aujourd’hui se pencher sur un tel phénomène. Or, on est en train de connaître une évolution capitale dans le Sud-Est de la Turquie.

- Est-ce que les Frères Musulmans sont en train de se renforcer dans le Sud-Est ?

Je ne lancerai pas une telle accusation. Si je disais oui, on me répondrait que non, qu’il s’agit juste de mouvements donnant la priorité à des considérations réligieuses. Je donne cela comme exemple. Il s’agit d’un mouvement de fond qui accorde plus d’importance à la religion que l’AKP. On y critique les relations de l’AKP avec les USA, l’UE et Israël. En ce moment, on ne peut pas dire qu’il y ait un parti représentant cette évolution, mais c’est un mouvement très fort au travers du développement de ses organisations relevant de la société civile.

- Le Sud-Est connaît une montée en flèche des tendances islamistes. Est-ce bien cela que vous dites ?

Oui, tout à fait. Aucun responsable politique, aucun parti politique, pas même la presse ne s’en sont faits l’écho. Et ce vide on le doit au DTP. Il n’a pas su s’adresser à l’ensemble des Kurdes. Il n’a as prêté attention aux sensibilités religieuses.

- Bien et est-ce que la Turquie soutient ces partis politiques qui en Kurdistan irakien se situent sur la ligne des Frères Musulmans ?

La Turquie collabore avec ces partis. Ceux-ci sont en contact avec l’Etat.

- Dans un futur proche que vous attendez-vous à voir apparaître au nord de l’Irak ? On entend parfois parler d’une fédération entre la Turquie et cette région. Qu’en pense Barzanî ?

Oui, on parle de « grand projet ». Ce n’est pas une perspective réaliste. Le gouvernement kurde en Irak, ne souhaite pas mettre en péril ses acquis. En outre, les Kurdes irakiens ont énormément souffert. Personne ne peut leur demander d’effacer leur mémoire. Et puis, enfin, Barzanî ne se montrerait pas trop favorable à une telle fédération. La population kurde de Turquie est plus importante que celle d’Irak. Or le mouvement le plus représentatif parmi les Kurdes de Turquie est bien le PKK.
Nous ne devons pas oublier non plus ce que ne cesse de répéter Barzanî : « en ce moment, l’indépendance n’est pas une perspective réaliste pour nous. Mais si les conditions venaient à changer, ce ne serait que le plus simple droit des Kurdes. »

Fin

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