Préférons-nous donner raison aux islamistes ou contribuer à faire de la Turquie une vitrine de la démocratie en terre d’islam ?
Répétons. Puisque le débat, maintenant, s’enflamme, redisons pourquoi l’éventuelle entrée de la Turquie dans l’Union serait une bonne chose pour l’Europe et pour le monde. Nous avons la chance - c’en est une, et de taille - que le plus grand pays musulman du pourtour méditerranéen, de notre voisinage immédiat, ait mis le cap sur l’Europe et ses valeurs depuis plus d’un siècle et demi, ait choisi la laïcité et l’émancipation de la femme depuis les années 1920, se soit tenu à nos côtés durant toute la guerre froide et veuille, maintenant, s’ancrer dans la démocratie en réussissant son examen d’entrée dans l’Union.
Alors que les jihadistes, eux, voudraient pousser l’Islam et l’Occident à la guerre, ce pays qui fut le cœur du monde musulman nous offre de l’aider à incarner et à prôner le choix contraire, la paix plutôt que les armes, la convergence plutôt que le choc des civilisations.
Un enfant comprendrait que c’est l’intérêt de tous, et d’abord le nôtre, que de le faire ; mais ne voyez-vous pas, disent les adversaires de l’adhésion turque, que cette folie donnerait à l’Union des frontières communes avec la Syrie, l’Irak et l’Iran ?
Ce serait en effet le cas. Cependant, préférons-nous avoir à nos frontières une Turquie que nous aurions rejetée vers cette zone noire, une Turquie blessée par notre refus, une Turquie dont nous aurions fait, nous, la preuve vivante qu’un pays musulman, même laïque et démocratique, n’a pas sa place en Europe ? Ou préférons-nous, au contraire, faire de ce pays la salutaire preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre islam et démocratie ?
Où est notre intérêt ? Préférons-nous donner raison aux islamistes ? Déclarer, comme eux, que les nations façonnées par le christianisme et celles dont l’islam est l’héritage ne peuvent avoir d’avenir commun ? Ou bien préférons-nous contribuer à faire de la Turquie cette vitrine, cette avant-garde de la démocratie en terre d’islam, que les Etats-Unis échouent à créer par la guerre en Irak et que nous pouvons, nous, pour peu que nous le voulions, conforter par la paix ?
C’est toute la question. C’est tout l’enjeu d’un débat décisif pour le siècle ; mais la Turquie, avancent ceux qui n’en veulent pas, serait le plus peuplé des pays de l’Union.
Oui, c’est vrai - les chiffres le disent. Toutefois, où serait le problème ? Il n’y en aurait pas, car, malgré le sous-entendu de ce constat, 70 millions de Turcs ne feraient pas une majorité musulmane dans une Union qui compterait alors plus de 500 millions d’habitants. Si peuplée soit-elle, la Turquie n’aurait aucun moyen de prendre les commandes de l’Union, pas plus que la France et l’Allemagne additionnées n’y parviennent aujourd’hui.
Reste la crainte, à gauche, de faire entrer un sous-marin des Etats-Unis dans l’Union. Elle est infondée. C’est oublier, en effet, que la Turquie, résistant à toutes les pressions, a refusé que les Etats-Unis passent par chez elle pour pénétrer en Irak. Les Turcs étaient déjà, et le demeurent, à l’unisson de l’Europe.