Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy vient d’effectuer une visite de deux jours en Turquie. L’occasion de revenir sur l’état des relations entre les deux pays.
A quelques 15 mois de l’élection présidentielle française dans laquelle « l’arme » turque a toutes les chances de jouer son rôle d’arme de dissuasion entre les prétendants de droite, la consigne semble être de « n’y pas toucher ». Dans un tel contexte, il ne fallait donc pas attendre grand chose de la visite en Turquie d’un Philippe Douste-Blazy, visiblement peu inspiré et accroché à ses fiches quand ses interlocuteurs avaient choisi de le tancer quelque peu.
On a connu mieux dans les relations franco-turques à une époque où le chef de l’Etat français correspondait avec le grand écrivain Yachar Kemal, qui lui rendait cette amitié en l’invitant à venir découvrir les Monts du Taurus. Ou lorsque les conseillers du même Président vouaient une admiration raisonnée au Premier ministre Turgut Özal (parmi eux, Hubert Védrine), pourtant membre de la même confrérie religieuse que Recep Tayyip Erdogan, l’actuel chef du gouvernement turc : entendait-on, en ces temps-là, parler d’islamisme ou de majorité islamiste en Turquie ? Non.
Mais cette époque est révolue depuis le 11 septembre, date qui devait rendre la question turque en Europe aussi incontournable que délicate.
Si le vernis politique des relations franco-turques n’est plus aussi reluisant, les affaires quant à elles ne se sont jamais aussi bien portées : lancée sur une phase d’adhésion à l’UE de 10 à 15 ans, la Turquie représente en effet un champ d’investissements particulièrement stable et sécurisant. Armement, nucléaire (dans le contexte international actuel, la question de l’acquisition de la technologie nucléaire par la Turquie recèle des implications stratégiques indéniables : se dirigerait-on vers l’approfondissement de ce qui, de fait aujourd’hui, correspond à un partenariat privilégié entre Ankara et l’UE ?), marché de l’eau et des techniques environnementales... les entreprises et le savoir-faire français prennent place comme ils l’ont fait au début des années 90 en Europe de l’Est. Il est à parier que l’imbrication croissante et gagnante des économies turque, française et plus largement européenne conduiront peu à peu les décideurs politiques à adopter des positions moins superficielles, simplistes et hypocrites, toutes ces postures qui nous feraient aujourd’hui redouter le pire si l’on en tirait les plus ultimes conséquences.
Faire de nécessité vertu en somme : mais il faut bien reconnaître que l’atmosphère de campagne perpétuelle qui dresse le fond de la vie politique hexagonale aujourd’hui ne s’y prête guère.
Dans son éditorial du 3 février, le journaliste Mehmet Ali Birand, francophone et francophile, tire toutes les conséquences de cet état des relations franco-turques. La veille, il recevait Philippe Douste-Blazy dans le cadre d’une émission diffusée sur la chaîne CNN-Türk. Il revient ici sur la signification et la portée de la visite du ministre français en Turquie après une année 2005 qui fut marquée par une série de brouilles entre les deux pays.
La clé de l’UE pour la Turquie : Paris
« La visite du ministre des Affaires étrangères français, Philippe Douste-Blazy en Turquie fut assez courte, mais elle a suffi à nous rappeler combien les relations franco-turques étaient importantes non seulement pour Ankara mais aussi pour Paris. Les plaies des peu heureuses périodes vécues l’année passée saignent toujours. Nos relations sont encore tout autant riches de développements orageux mais malgré tout nous nous devons de les maintenir sur pied. A la source des brouilles se tiennent des gênes franco-françaises ou d’ampleur européenne. Les coquetteries politiques placent la Turquie au premier plan et en font même une cible. Tout ceci ne signifie pas que les Français nous détestent : ce n’est que la résultante de l’agenda retenu par la Turquie pour forcer les portes de l’Europe, de sa taille, de sa population, d’une « islamité » restée dans l’ombre du 11 septembre.
Quoi qu’il en soit, tous ces éléments ne doivent pas porter atteinte à nos intérêts de long-terme. La France détient la clé de notre adhésion future à l’UE. Cette clé appartenait autrefois, dans une certaine mesure, à Athènes. Ce temps-là est révolu. Désormais Paris est devenue la capitale à laquelle nous devons accorder le plus d’importance, la capitale que nous devons convaincre.
La Turquie est un pays que la France ne peut pas facilement ignorer. Et surtout dans un contexte d’après 11 septembre, ce ne serait pas très intelligent d’adopter une position visant à mettre la Turquie de côté.
La venue de Douste-Blazy en est d’ailleurs le signe. Même si sur de nombreux sujets nous avons des positions différentes si nous considérons les évènements de différentes fenêtres, les responsables français et turcs s’efforcent de ne pas trop s’éloigner les uns des autres.
Un peu de retouches, un peu de maquillage et quelques réajustements dans les relations franco-turques récemment sorties de la tempête : pour tout cela, la visite de Douste-Blazy en Turquie a de ce point de vue été très utile. »