C’est sur les rives du Bosphore, à Istanbul, que le groupe des Verts du Parlement européen s’est réuni, du 19 au 22 octobre, pour réclamer l’ouverture rapide de négociations d’adhésion entre l’Union européenne et la Turquie. « Notre groupe est majoritairement favorable à ce qu’elles démarrent en 2005 », a déclaré Daniel Cohn-Bendit, leur président, espérant ainsi faire pression sur les chefs d’Etat et de gouvernement, qui devront fixer une date lors du Conseil européen du 17 décembre.
L’eurodéputé autrichien Johannes Voggenhuber, qui fait partie de la minorité Verte défavorable à l’entrée de la Turquie, lui a apporté une vive contradiction lors d’un débat sur « les frontières de l’Europe ». Il a d’abord déploré que « ni les peuples ni les Parlements » n’aient été consultés sur lune telle candidature avant le sommet d’Helsinki, en décembre 1999, au cours duquel, « après un simple tour de table », les chefs d’Etat ont décidé que la Turquie avait vocation à rejoindre l’Union.
M. Cohn-Bendit lui a suggéré de « bien distinguer les peuples et les élites ». « Johannes, crois-tu qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale ce sont les peuples allemand et français qui ont voulu la réconciliation ? N’est-ce pas plutôt l’intelligence de certaines élites qui les y a conduits ? », a-t-il demandé, faisant manifestement allusion au secret dans lequel Jean Monnet et Robert Schuman ont planifié la mise en commun du charbon et de l’acier.
NON AU RÉFÉRENDUM
M. Cohn-Bendit s’est, par ailleurs, dit totalement hostile à ce que la France soit consultée par référendum sur l’adhésion de la Turquie. « La question ne sera pas de savoir si l’on veut ou non intégrer -les Turcs-, ce sera »Aimez-vous ou non les musulmans ?« », a-t-il affirmé. « Regardez ce qui s’est passé en Allemagne, a-t-il ajouté à l’appui de sa démonstration. La dirigeante de la CDU, Angela Merkel, a dû renoncer à sa pétition pour un partenariat spécial, parce que l’extrême droite était prête à la signer ! »
« L’intégration de la Turquie contredit pleinement le projet des pères fondateurs de l’Europe ! a répliqué M. Voggenhuber, qui a participé aux travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing. Si l’on intègre la Turquie, pourquoi refuserait-on le Maroc, Israël ou la Palestine ? » « On fera ainsi de l’Europe une simple organisation internationale, et non une entité politique capable de créer un ordre social européen, a-t-il expliqué. Or qui le souhaite ? Les Américains ! » Il a exhorté les Européens à « ne pas répéter l’erreur qu’ils ont commise lorsqu’ils ont accueilli dix nouveaux pays avant d’avoir approfondi leurs institutions : aujourd’hui, ce sont les Polonais qui nous empêchent d’adopter la Constitution ! »
M. Cohn-Bendit a assuré que « l’idée fédéraliste, voulue par les six pays fondateurs, est morte avec l’entrée de l’Angleterre », et que « le pays qui risque de faire capoter la Constitution, c’est l’Angleterre, pas la Pologne ». M. Voggenhuber a demandé si la Turquie veut « autre chose que la prospérité » en entrant dans l’Union européenne. « Souhaite-t-elle participer au rêve européen ? », a-t-il questionné.
Un universitaire, Ahmed Insel, professeur à Paris et à Istanbul, lui a renvoyé la question, jugée « à la fois pertinente et impertinente ». « Est-ce que la France profonde ou l’Autriche profonde partagent le projet européen ? a-t-il demandé. S’il y a crise de l’identité européenne, le cas turc en est le symptôme, pas la cause ! »
M. Insel, vivement approuvé par M. Cohn-Bendit, a regretté que « dans le subconscient des Européens, y compris de certains hommes politiques comme François Bayrou, ce soit la religion musulmane qui pose problème ». « Les Anglais, qui sont les fossoyeurs de l’Europe, sont jugés européens parce qu’ils sont chrétiens », a-t-il déploré.