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La Turquie, pays d’Asie ou pays d’Europe ? Une question mal posée ! (1)

jeudi 28 décembre 2006, par Philippe Couanon

« La Turquie est elle européenne ? ». C’est la question leitmotiv qui parasite le débat sur la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’Union Européenne, depuis, notamment, le « pavé » lancé par Valéry Giscard d’Estaing en 2002, en totale contradiction avec l’orientation du processus d’élargissement engagé par Bruxelles. « La Turquie n’est pas un pays européen, sa capitale n’est pas en Europe et 95% de sa population est extérieure à l’Europe (chiffre contestable) », asséna-t-il alors de façon péremptoire.

Depuis, la majorité des opposants au projet se retranche derrière cet argumentaire simpliste, notamment dans les classes politiques des états membres, semant ainsi un trouble indéniable dans les opinions publiques. Il n’est pas ici question de s’interroger en profondeur sur les causes et les effets de cette démarche mais on peut tout de même en souligner certains résultats pervers ; en effet, le procédé induit une remise en cause de la politique d’élargissement européenne et suscite donc un rejet de l’institution européenne qui perd de sa crédibilité aux yeux de la population qui ne voit plus en elle qu’une machine bureaucratique déconnectée de sa base populaire et décidant de manière antidémocratique. D’autre part, elle génère un phénomène de rejet, le Turc devenant « l’Autre », différent et incompatible.

-  Philippe Couasnon est enseignant agrégé d’histoire et membre de Turquie Européenne

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Il ne s’agit pas non plus ici de nier les difficultés inhérentes au processus d’intégration de la Turquie, mais de réorienter la réflexion vers de véritables enjeux en recadrant la question de l’européanité de la Turquie et en la ramenant à sa juste place qui est celle d’un faux problème mis en exergue à des fins partisanes.

Pour ce faire, nous nous rangerons, entre autres références, derrière la démonstration de Monsieur Gilles Veinstein, professeur au collège de France, qui répondait indirectement à l’ancien président Giscard d’Estaing et à ceux qui lui ont emboîté le pas, dans les colonnes de la revue l’Histoire (n°273) : « …Mais on voit bien tout ce qu’il y a d’irrationnel à fonder une construction politique sur des critères géographiques. Car, l’Europe est une construction arbitraire des géographes, limitée de manière conventionnelle, à l’Est, par les mont Oural, à la fin du XVIIIe siècle. Les Grecs et les Romains ignoraient ce concept… Pour définir l’Europe, beaucoup éprouvent le besoin d’invoquer l’Histoire. Les pays de l’Europe géographique auraient une histoire commune (affirmation pour le moins contestable), histoire à laquelle la Turquie n’aurait pas sa part… Pour ma part, je me contente de répondre à ceux qui clament du haut de leurs certitudes qu’il y aurait une histoire européenne - une et indivisible - et que l’histoire de la Turquie lui resterait radicalement étrangère, par une vision totalitaire, plus ou moins affirmée des allégeances confessionnelles. » En clair, son but est de se dresser contre ceux qui utilisent l’histoire alibi et la géographie prétexte pour dissimuler des motivations moins avouables. Cela sera notre propre démarche.

Le niveau zéro de l’argumentation

Depuis 2002, le débat sur la question n’a guère été productif dans les millieux politiques, loin s’en faut ! Seuls, quelques partisans de l’adhésion comme Mme Cl. Haigneré ou Ms M. Rocard et D. Strauss Kahn ont fait preuve d’une réflexion plus approfondie. Parmi les détracteurs, il faut bien reconnaître que l’argumentation stagne au niveau 0. Il y a ceux qui se contentent d’afficher leurs certitudes péremptoires, à l’instar de VGE : « La Turquie ne peut prétendre entrer dans l’Europe puisqu’elle ne fait pas partie de l’Europe, c’est une évidence » [43 députés de la majorité dans une lettre à J. Chirac en Octobre 2005], « la Turquie, c’est l’Asie Mineure » [N. Sarkozy] ou « c’est l’Asie » [Ph. De Villiers.. Et bien d’autres..]… Faut il y voir une simple méconnaissance de rudiments de l’Histoire-Géo, une manipulation sournoise ou un refus de débattre ? Quoiqu’il en soit, le procédé manque d’honnêteté cartésienne !

Certains n’hésitent d’ailleurs pas à témoigner d’un mépris mal dissimulé à l’encontre de leurs contradicteurs et des citoyens turcs qui revendiquent leur appartenance à l’Europe ; on peut citer parmi les spécialistes du genre, Nicolas Sarkozy qui a osé déclarer : « Si la Turquie était en Europe, ça se saurait ! » ou bien « Comment mettre la géopolitique au niveau de mon labrador »… ou l’art de prendre les gens pour des imbéciles de la part de celui que des journalistes turcs ont surnommé « le nain politique sans envergure »… au vu de ce qui précède, on ne saurait leur donner tort ! Dans le même registre, citons aussi Hubert Védrines : « L’évidence, le bon sens et la géographie… devraient suffire à dire… n’a pas vocation à devenir membre de l’UE… ». D’autres vont plus loin en recourrant à la formule « Et pourquoi pas… » visant à dénoncer l’absurdité du projet d’adhésion turque en reprenant la rhétorique de la « Boîte de Pandore » pour signifier que l’ouverture de la porte à la Turquie sera les prémices de l’entrée d’autres états non européens : « l’Afghanistan » [R. Bachelle], « le Turkménistan et les républiques turcophones » [ph. De Villiers], « Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie ainsi qu’Israël et le Liban ou bien encore le Turkménistan » [N. Sarkozy]… la palme revient à H. Emmanuelli : « Pourquoi ne pas poursuivre jusqu’en Terre Sainte, aux Pyramides ou aux Lacs africains »… Outre l’exagération, de tels procédés dénotent tout d’abord une appréciation historique erronée, notamment de la part du ministre de l’intérieur, lorsqu’il qualifie le Liban et Israël de « plus européens que la Turquie » et qu’il rapproche le Maghreb de la France (et donc de l’Europe) ; l’ancrage historique de ces territoires à l’Europe a été subi du fait de la colonisation (pour le Maghreb comme pour le Moyen Orient suite aux Croisades ou à l’instauration de protectorats au lendemain de la 1re Guerre Mondiale) et non désiré comme c’est le cas pour la Turquie depuis plus de 2 siècles. Israël n’a rejoint la sphère occidentale qu’à sa création en 1948 alors que la Palestine ottomane était incontestablement arabo-musulmane et sans liens étroits avec l’Europe. Sans doute le Liban a-t-il été voulu comme un état majoritairement chrétien (ce qu’il n’est plus), mais la plus grande partie de ses populations chrétiennes se réclament comme « chrétiens d’orient ou d’Asie » et est de souche ethnique asiatique. Il en va de même, pour ceux qui voient dans l’entrée de la Turquie dans l’UE, la fixation des limites européennes aux portes de « l’Axe du Mal » ; on y retrouve, encore et toujours, le récidiviste Nicolas Sarkozy : « je n’expliquerai pas aux petits écoliers français que les frontières de l’Europe, ce sont l’Irak et la Syrie » qui reprend l’idée avancée de longue date par François Bayrou : « L’adhésion de la Turquie rendrait l’Europe frontalière de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran ». A l’heure d’internet, et des terroristes capables de frapper au cœur des métropoles, l’argument apparaît passablement passéiste ! A l’évidence, un tel discours dénote surtout chez ses auteurs une volonté de repli identitaire sur les pseudo valeurs européennes.

Restent les « dégonflés » illustrés par le couple Hollande (« Il n’est pas nécessaire d’avoir un avis maintenant ») - Royal (« mon opinion sera celle des Français »)… Une manière assez démagogique de « botter en touche » pas trop courageuse, mais qui évite de prendre des risques en période électorale. Plus fort encore, et plus hypocrite, l’attitude du président Chirac qui consiste à affirmer : « qu’il y a tant d’années que les Turcs font des efforts de démocratie et de Droits de l’Homme, qu’il serait inconcevable aujourd’hui de leur dire NON »… peut être dans 10 ans alors, puisqu’en catimini, il a instauré un référendum pour solliciter l’accord des Français, en préalable à toutes nouvelles adhésions ; cela lui permet de se placer au dessus de la mêlée affairée à s’étriper sur ces questions d’européanité… d’autant plus facilement que dans 10 ans, il ne sera plus aux commandes de l’état et laissera ses successeurs se débrouiller avec cette bombe à retardement qu’est la future consultation populaire dont il est l’inventeur ! Enfin, l’Oscar de l’hypocrisie doit être attribué à Fr. Bayrou qui multiplie les « Nos amis les Turcs », tout en leur rappelant qu’ils sont « étrangers à l’Europe »« qui ne s’est pas construite sur le seul héritage du christianisme, mais grâce à la fertilisation croisée de Rome, Athènes et Jérusalem ». Gageons que l’utilisation du mot « croisé » n’est pas entièrement fortuite, tout comme l’oubli de Constantinople, Cordoue, Tolède ou Palerme… dont l’influence intellectuelle a été énorme dans la construction de la culture européenne ! Pour un agrégé de Lettres Classiques, « ignorer » que la quasi totalité des textes antiques nous ont été transmis par les savants et traducteurs arabes…

A propos de l’européanité turque

Pour ne pas être accusé d’avoir nous même recours au principe des affirmations gratuites, il importe de formuler quelques rappels historiques et géographiques.

Sur le plan historique, l’affirmation de l’identité culturelle européenne est souvent un moyen simpliste d’exclure l’altérité et donc de rejeter hors des limites de l’Europe, ceux qui ne répondent pas entièrement aux critères présupposés. Or, la réalité est en général bien plus complexe et dérangeante. La majorité des anthropologues et des linguistes s’accordent pour démontrer que le peuplement européen s’est constitué par strates superposées successives.

Des plus anciens habitants identifiés ne subsisteraient que les Basques et quelques ethnies aujourd’hui diluées. Sur ce substrat originel, se sont ajoutées des populations indo-européennes et proto-turques, originaires d’Asie centrales et méridionales, arrivées sous forme de vagues qui s’étalent tout au long de l’histoire humaine ; à chaque nouvelle installation, s’opérait une fusion culturelle entre anciens et nouveaux dont l’influence variait selon l’apport quantitatif et le type de pouvoir mis en place. Ainsi, concernant le peuplement d’origine turcophone, on note des persistances conséquentes en Hongrie et en Bulgarie, plus ténues en Finlande où elles subsistent surtout dans la langue et parcellaires dans toute l’Europe centrale et orientale. Depuis ces flux se sont stabilisés, relativement récemment à l’échelle des temps, comme pour l’implantations des Slaves ou des Magyars en Europe. Mais, les brassages de populations, les guerres et invasions, la colonisation et l’immigration (qui n’est pas un phénomène récent) ont contribué au métissage ethnique et culturel et ont façonné l’identité européenne dans son extrême diversité qui la fait assimiler à une mosaïque de peuples et de cultures. Le fait de ne distinguer que l’incidence de Rome, Athènes et Jérusalem dans la construction de l’identité européenne équivaut à occulter quantité d’influences qui y ont participé. Il est d’ailleurs curieux de constater l’amnésie de certains adeptes de l’homogénéité identitaire continentale, convaincus de la pureté absolue de leurs racines européennes, quant à leur propre origine : Monsieur Sarkozy (profondément hostile à l’adhésion turque) n’est-il pas d’origine hongroise, c’est-à-dire le peuple d’Europe dont l’apparentement aux Turcs est le plus évident ? Monsieur Balladur n’est-il pas né à Smyrne/Izmir dans une famille d’ascendance turque ? De même, Monsieur Devedjan, très attaché aux valeurs européennes qu’il défend avec l’excès qui le caractérise, se dit aussi foncièrement ancré dans ses racines arméniennes… il oublie sans doute que l’Arménie, très à l’Est du Bosphore et au Sud du Caucase, est un pays incontestablement asiatique, si l’on suit la thèse géographique qu’il soutient !

L’ancrage historique de la Turquie à l’Europe

Nous ne reprendrons pas, ici, l’argumentation selon laquelle la Turquie est européenne du fait de son passé grec, romain et byzantin ; de par les départs successifs des éléments chrétiens et juifs de la population, cet héritage est aujourd’hui fossilisé sous forme de structures architecturales et archéologiques. La composante turque et musulmane, installée à partir du début du 2e millénaire est désormais ultra dominante numériquement et n’a plus beaucoup de rapports ethniques et culturels avec les lointains habitants de l’Anatolie du début de notre ère. Par contre, il est indéniable que la longue cohabitation des peuples qui se sont « partagés » cet espace durant des siècles, a « européanisé » la population turque actuelle dans ses modes de vie, ses croyances et sa mentalité ; l’inverse est également vrai. Ainsi, l’islam turc, majoritairement sunnite, est loin de présenter une expression orthodoxe et ce ne sont pas les réformes kémalistes qui en sont la cause ; il offre un savant mélange de pratiques et de foi sunnites, teinté d’influences chrétiennes et de survivances chamaniques et animistes héritées des temps préislamiques ; et que dire de l’alévisme, très répandu, souvent rattaché à tort au chiisme dont il ne s’inspire que de très loin ?

Il est d’ailleurs curieux de constater que nombre de détracteurs de la Turquie qui reprochent au gouvernement de R. T. Erdogan une tendance à la réislamisation de la société, et donc une remise en cause de la laïcité, ne s’offusquent pas de l’ultra catholicisme d’état qui sévit en Pologne. Cette contradiction résulte surtout du principe très franco-français de s’imaginer en modèle universel ; hors, c’est oublier que la laïcité de mise au sein de l’Union Européenne revêt des formes extrêmement diverses ; de même, la laïcité turque est davantage un contrôle étatique d’un fait religieux encore très présent au quotidien, qu’une laïcité à la française. Force est de constater, également, que ces opposants à l’adhésion turque n’en sont pas à une contradiction ou à caricaturisation de la réalité près, pour faire passer leur message. Peut on accepter l’amalgame fait entre la Turquie et l’Arabie wahabite pour affirmer qu’islam et démocratie sont incompatibles ? Quel crédit accorder au recours à l’exemple bosniaque (en faisant porter l’entière responsabilité du conflit au seuls musulmans) pour insinuer que les musulmans sont incapables de s’intégrer à la civilisation européenne ? [sur ces 2 points, cf. D. Martin, Adhésion de la Turquie : le pour et le contre, mediasetdemocratie.net].

Dans le registre des amalgames, la continuité systématiquement acceptée entre l’Empire Ottoman et la République turque apparaît excessif ; certes, les convergences sont nombreuses, mais l’objectivité commande de souligner aussi les différences. Ainsi, l’Empire formait, à son apogée, un gigantesque espace qui s’étendait sur 3 continents où l’élément turc n’était qu’une minorité dans un ensemble pluriethnique et multiconfessionnel ; les sultans eux-mêmes étaient issus d’unions mixtes (parfois de mères chrétiennes : l’un d’eux fut ainsi le neveu de Joséphine de Beauharnais) ; ils s’exprimaient dans un langage incompréhensible pour le commun des Anatoliens, s’entouraient de conseillers originaires de toutes les régions de l’Empire et se faisaient protéger par le corps des janissaires, des chrétiens kidnappés et islamisés. La turquicité du cœur de l’Empire laissait à désirer alors que la Turquie actuelle offre une population culturellement bien plus homogène. Faire de cet Empire cosmopolite une entité exclusivement turque est abusif ; par contre, son hétérogénéité, avec une présence européenne très nombreuse et influente, a largement contribué à son ancrage précoce à l’Europe malgré la conservation de caractères orientaux marqués. Cette pluralité des influences a façonné le visage de la Turquie contemporaine en pérennisant sa position de pont entre l’Orient et l’Occident. La réalité de l’Empire Ottoman apparaît donc éloignée de l’image qu’on lui attribue généralement : celle d’un cœur turco musulman dominant des périphéries chrétiennes ou arabo musulmanes colonisées ; le terme même de « colonisation » est ici galvaudé et inapproprié mais il sert à renforcer le profil négatif du Turc oppresseur barbare et cruel, digne descendant des hordes sanguinaires qui déferlaient sur l’Europe, pillaient et massacraient les populations chrétiennes innocentes ou les épargnaient pour les asservir et les convertir de force. Or, les sources révèlent qu’il n’y a jamais eu de volonté d’exploitation économique au profit de la métropole, ni d’imposer un modèle civilisateur.

Au XIXe siècle, les territoires relevant de Constantinople coûtaient bien plus cher à maintenir dans l’Empire qu’ils ne lui rapportaient, il ne fournissaient que peu de troupes puisque les non musulmans avaient l’interdiction de porter les armes et ils disposaient d’une relative autonomie dans le cadre des millets ou par le maintien en place des autorités locales. Sitôt la conquête d’une région achevée, une cohabitation généralement pacifique s’instaurait entre autochtones et occupants, les premiers devenant souvent de fidèles alliés des seconds comme l’illustre la bataille d’Ankara en 1402 où les auxiliaires serbes se firent massacrer pour protéger le sultan alors que les turcs le trahissaient en passant massivement à l’ennemi mongol. L’historiographie ne recensent que peu de cas d’intolérance religieuse dans les territoires acquis.

La position ottomane en Europe a radicalement évolué au siècle des lumière et surtout au XIXe siècle. Enrichie par le détournement du grand commerce vers l’Atlantique et l’Océan Indien (au détriment de la Méditerranée et des voies commerciales terrestre), puis par l’industrialisation, l’Europe a imposé son emprise sur le monde, elle s’est développée est devenue le symbole de la modernité. A l’inverse, l’Empire Ottoman s’est englué dans un conservatisme obsolète et facteur de déclin ; pour l’enrayer, les sultans réformateurs se sont tournés vers le modèle européen pour moderniser leurs institutions en copiant ses codes juridiques ou ses constitutions (suisse, belge, française..). Ils ont cherché à multiplier les relations économiques avec cette même Europe et à attirer ses investisseurs pour se développer et s’équiper ; enfin, (parfois à son corps défendant), l’Empire s’est intégré au concert diplomatique européen en participant au jeu fluctuant des coalitions et des négociations. Personne, parmi les grands leader de l’époque, ne mettait alors en doute l’appartenance à l’Europe de celui qu’on qualifiait « d’homme malade de l’Europe ».

C’est naturellement que l’Empire s’est inscrit dans les systèmes d’alliances intra européens ce qui l’a conduit à participer à la 1re Guerre, qualifiée de mondiale, mais qui fut d’abord une conflagration européenne.

Suite à la guerre d’indépendance et au Traité de Lausanne, c’est, comme ses prédécesseurs ottomans, vers le modèle européen, et non vers l’Asie, que s’est tourné Mustafa Kémal pour la construction de la république laïque. Même s’il a abandonné Istanbul, trop marquée du sceau du sultanat et du califat, pour fixer sa capitale à Ankara « l’asiatique », il n’a jamais dissimulé son attirance pro-européenne, synonyme de progrès et de modernité ; c’est, curieux retour de l’histoire, qui autorise aujourd’hui monsieur Giscard d’Estaing à affirmer que la Turquie n’a pas sa capitale en Europe, oubliant qu’Istanbul a porté ce titre durant des siècles. Les réformes d’Ataturk portent la marque de sa préférence européenne, qu’elles soient politiques, institutionnelles, économiques, vestimentaires (le chapeau à la place du fez), linguistiques avec l’adoption de l’alphabet latin… Tout, dans son action, montre une volonté d’ancrer son pays à l’occident européen et une rupture avec l’orient, jugé passéiste et figé dans ses traditions arabes et musulmanes.

Après la 2e Guerre Mondiale, où le régime opta pour une prudente neutralité, la Turquie accentua son rapprochement occidental en adoptant le pluralisme parlementaire puis en intégrant les grandes institutions du bloc de l’ouest (OTAN, OCDE…) et européenne (Conseil de l’Europe, UEO et OSCE comme membre fondateur…). En 1963, la vocation de la Turquie à devenir membre de la CEE fut reconnue par Bruxelles, et seule, l’instabilité interne du pays durant 3 décennies, retarda l’enclenchement du processus. A l’époque, très rares furent ceux qui doutaient du caractère européen de la Turquie. Force est de constater que la polémique sur la question de l’appartenance de la Turquie à l’Europe est un phénomène nouveau ! D’ailleurs, en 1995, bien peu de voix s’élevèrent pour contester la signature d’une union douanière entre l’UE et la Turquie, quasiment identique à celles qui lient les états membres entre eux. La Turquie est ainsi le seul état non membre de l’UE à s’être lié de la sorte à l’Europe unie… un accord dont les états européens sont les grands bénéficiaires, alors qu’il a coûté très cher à l’économie turque, puisque Ankara n’a pas de prise sur les décisions de Bruxelles. Cette remarque dénote bien de l’hypocrisie ambiante ; les tenants de l’Europe sont favorables à des ouvertures ou avancées lorsqu’ils y trouvent des intérêts conséquents ; de même, on est en droit de se demander ce que les partisans de « l’union privilégiée plutôt que l’adhésion pleine et entière » [Bayrou…] ont à proposer de plus que ce qui existe déjà ! N’est-ce pas plutôt un subterfuge pour ne pas dire qu’ils veulent les avantages d’une alliance « renforcée » (par quoi ?), dont-ils seraient les gagnants mais sans les difficultés (coût, liberté de circulation…) inhérentes à l’intégration effective. Plus simplement, le Turc est intéressant comme consommateur de produits européens, pas comme citoyen européen !

- A suivre...

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