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La Turquie et la décision relative au génocide

jeudi 15 mars 2007, par Marillac, Turgut Tarhanli


© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction
© Radikal 08/03/2007

Professeur de droit international à l’Université Bilgi d’Istanbul, Turgut Tarhanlı revient ici sur la signification juridique et politique de la décision récemment rendue dans l’ affaire confrontant la Bosnie à Belgrade sur la question d’un génocide commis par les bosno-serbes durant la guerre en Bosnie (92-95). La Cour n’ayant pas attribué d’intention génocidaire à Belgrade par manque de preuves, voilà toute une cohorte de commentateurs politiques en Turquie qui se dresse pour réclamer le lancement d’une procédure judiciaire qui viendrait « solutionner » définitivement la question arménienne. Cela est-il aussi simple ? Des simples considérations juridiques suffiront-elles à régler le différend turco-arménien ? A permettre un jour une réconciliation ? Turgut Tarhanli tente de faire la part des choses.

Comment devons-nous appréhender en Turquie la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ) Internationale, organe des Nations-Unies, relative à la question bosno-serbe ? Rien de plus naturel que dans l’appréciation d’une décision de justice s’affrontent diverses opinions. Mais le principal sujet de débat dans le cadre de ce procès est en fait lié à la question de savoir si les Serbes de Bosnie, sous la coupe de Belgrade, se sont ou non livrés à un génocide contre les Bosniaques. Et quels sont les principaux critères à retenir dans le débat et la définition de ce crime lourd et international que constitue le génocide ?

Journaliste au quotidien Yeni Safak, Kürsat Bumin a consacré deux papiers à ce sujet cette semaine et de façon tout à fait justifiée, il a critiqué une certaine manière, dans ce débat, de débattre et de porter des jugements selon le jeu des divers intérêts d’Etat en lutte sur la scène internationale. Le fond de sa critique, reposait en fait sur les possibles conséquences politiques à tirer, dans les débats qui occupent la Turquie, de la thèse retenue par les juges du manque de preuves quant à la démonstration de l’existence d’une intention bien spécifique de commettre un génocide pour les dirigeants serbes. Parce que, au final, même si cette décision ne satisfait pas les Bosniaques, il semble bien qu’historiquement, dans le cadre de la question arménienne et des accusations de génocide auxquelles la Turquie doit faire face, un telle technique puisse être efficace sur un strict plan juridique.

Et si l’on s’en remet même aux déclarations de certains responsables en Turquie ces derniers jours, nous voyons bien que des commentaires juridiques vont effectivement en ce sens.
Dans ce cas, la Turquie doit-elle se réjouir de cette décision de la CIJ ? La réponse à une telle question dépend en fait de l’approche de la Justice retenue.

Plusieurs conceptions de la justice

L’approche turque dans ce dossier, et ce depuis des années, s’évalue à l’aune d’une conception de la justice éclairée par le concept de « justice équilibrante (distributive) ». Selon ce concept, pour que l’on puisse envisager de réparer les injustices commises à l’encontre de ceux qui prétendent en avoir été victimes dans le cas d’un problème précis, il faut que la partie responsable ou tenue pour responsable de cette atteinte ou crime remette selon le droit sa responsabilité à l’appréciation d’une instance publique nationale ou internationale. C’est la raison pour laquelle la stratégie suivie par la Turquie donne dans ce cas l’exemple parfait d’une recherche de justice distributive appliquée de manière à s’affranchir des contraintes politiques et juridiques imposées par la façon dont la question arménienne est généralement appréhendée.
Mais au cœur de conception de la justice qui anime la campagne menée contre la Turquie, il n’est pas autre chose que ce qui inspire les démarches d’Ankara. Parce que là aussi, par la voie de la mise en œuvre d’une justice équilibrante, mais cette fois en défendant les positions contraires de celles de la Turquie, on tente de faire triompher sa propre thèse.

L’approche en termes de justice distributive reflète en fait tout un effort focalisé sur l’acte, au cœur du lien que constitue la sanction / réparation juridique entre le coupable et l’autorité publique.
Et dans ce sens, elle est dotée d’un caractère propre au droit positif.

Or, depuis environ 25 ans, une autre approche de la justice s’est peu à peu développée : celle d’une justice de réparation. Elle insiste sur la nécessité de prêter attention aux personnes et à leurs souffrances, en dépassant la simple focalisation sur l’acte et en accordant la priorité aux victimes.
C’est pourquoi, comme dans toute évaluation juridique, plutôt que de tenter de définir le passé et de le considérer depuis les conditions actuelles, elle tente de faire en sorte de trouver les fondations pour un avenir que l’on construirait à la lumière des conditions présentes.
La procédure et les actes judiciaires dans le monde entier sont en général et traditionnellement dépendants d’une organisation qui accorde la part du lion à cette conception de la justice équilibrante.

Mais comme je l’ai précisé un peu plus haut, depuis un certain temps, avec l’apport de disciplines autres que le droit, on tente de dépasser l’engorgement judiciaire dont la voie fut ouverte par les définitions traditionnelles des notions de coupable et de victime ainsi que par les types de relations induites par ces deux positions sociales respectives, en s’appuyant non pas sur la conformité de l’acte à des « moules » juridiques, mais sur la base d’une communication et d’échanges acceptables pour les deux parties et se focalisant sur l’humain et non plus seulement sur le juridique.

Et si des efforts peuvent être effectués en ce sens, alors cette évolution peut constituer une ouverture susceptible de faciliter la prise de conscience de ce que la Turquie est aujourd’hui en mesure de porter un regard bien différent sur son propre passé comme de souligner la réalité du point de fuite des regards tournés vers ce pays.

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