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La solution n’est pas un coup d’Etat

jeudi 4 octobre 2007, par Murat Yetkin, Sebahat Erol

Deniz Baykal, Secrétaire Général du CHP (Parti Républicain Populaire), évoque le 12 septembre : « Nous avons de nouveau des problèmes, mais la solution ne peut en aucun cas être un coup d’Etat. »

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La veille du 9 septembre, jour où le CHP organisait une manifestation au Mausolée d’Ataturk, Deniz Baykal reçut un coup de fil. Un père l’invitait au mariage de son jeune fils qui avait lieu à Çeşme le soir même. Baykal demanda conseil à ses camarades du Parti qui lui dirent qu’il devait s’y rendre. Ce soir-là, il s’envola donc vers Izmir avec l’avion de 17.20. Après avoir participé au mariage, il revint à Ankara le matin avec l’avion de 07.30, ce qui explique en partie son retard au rendez-vous de 9 heures au Mausolée d’Ataturk.

Ce père de famille envers lequel Baykal avait une grande reconnaissance s’appelait Mehmet Aras. Ils s’étaient connus après le Coup d’Etat militaire du 12 mars 1971. Quand ce coup d’Etat s’est produit, Baykal faisait son service militaire à l’Ecole des officiers de réserve de la Marine sur l’île de Yassıada. Quand il rentra en permission en fin de semaine à Ankara, ce fut un choc. Des soldats avaient fait une descente chez sa femme Olcay qui vivait au rez-de-chaussée d’un immeuble avec deux enfants dont l’aînée, Aslı, avait à peine six ans. Un colonel avait fait saisir toutes les lettres, tous les livres et les papiers de Baykal. Les militaires avaient même éventré les matelas pour vérifier s’il n’y avait rien de caché à l’intérieur.

Quand Baykal retourna à l’Ecole de la Marine, le Commandant de l’Ecole, un colonel, lui dit : « Quelle honte ! Nous avons donc nourri un serpent parmi nous ! » En tant que premier de la promotion, c’est lui qui devait clouer sa plaque sur le tronc *. Mais sous la pression exercée sur les professeurs par la direction, ses notes furent baissées et il fut déclaré second. Puis il fut envoyé à Iskenderun, en exil en quelque sorte.

A cette période-là, un professeur qui avait refusé de baisser la note de Baykal, un capitaine de la Marine, s’était approché de lui et, lui ayant tendu son livret de compte, lui avait dit : « Voilà tout ce que j’ai sur mon compte. Vous avez des soucis. Vous pouvez utiliser autant d’argent que vous voulez, vous me rembourserez plus tard. » Baykal ne toucha pas à cet argent, mais il n’oublia jamais ce capitaine. Ce Mehmet Aras qui avait envoyé une invitation à Baykal à un moment difficile était justement ce capitaine de la Marine.

Baykal se trouvait à Antalya quand eut lieu le coup d’Etat du 12 septembre 1980. Le Parlement avait été fermé, le Premier Ministre Süleyman Demirel avait été mis sous surveillance au camp militaire de Hamzakoy de même que Bülent Ecevit, chef du CHP, principal parti d’opposition, et environ 30 députés CHP avaient également été arrêtés. Après un voyage interminable en car – à cause de la présence de Baykal dans le car, le véhicule était en effet arrêté tous les 80 kilomètres par une barricade militaire et relâché après ordre reçu par T.S.F. – il arriva enfin à Ankara. Il s’était donné comme mission de soutenir le moral des députés arrêtés en leur téléphonant.

Quelques jours plus tard, Hikmet Çetin, son voisin et camarade qui faisait partie de l’équipe de direction du CHP, vint lui rendre visite. Il lui dit : « J’étais en train de laver ma voiture. Une Jeep militaire s’est arrêtée. Un lieutenant en est sorti et m’a dit : ‘Il y a un mandat contre Baykal, mais on ne va pas l’emmener sous escorte militaire, ce serait gênant pour lui.’ Il m’a prié de te dire qu’on t’attendait au Poste de Commandement central à 17 heures. »

A ce moment-là, sa fille Aslı rentra de l’école. Baykal se souvient de ce jour : « Tout en lui racontant la situation, je pesais chacun de mes mots pour qu’elle n’éprouve pas de haine envers l’Etat. Mais à chacune de mes phrases, elle répliquait : ‘Mais pourquoi toi, papa ?’ Cela me fait encore mal au cœur. »

Les camarades du Parti arrivent, ils forment un convoi. Baykal se trouve dans la Peugeot de Turhan Güneş. A l’entrée du Commandement, comme Baykal s’apprêtait à prendre sa valise dans le coffre, Güneş lui ordonne de ne pas y toucher. Il prend lui-même la valise et tout en la transportant, il donne une belle leçon de politique en montrant à Baykal le colonel qui l’attendait à la porte : « Ce que je veux lui montrer, c’est que celui qui porte la valise de Baykal est le Héros de Chypre Turhan Güneş. »

« On m’a relâché au bout d’un mois, raconte Baykal. Il n’y a eu ni accusation ni jugement. Plus tard, nous avons de nouveau été arrêtés parce que nous voulions faire renaître le CHP et cette fois, nous avons passé quatre mois au centre militaire de Zincirbozan. Voilà ce que nous avons vécu mais il y a des personnes qui ont connu pire, qui ont été frappées bien plus lourdement. »

Et voici comment il fait le lien avec la situation actuelle :

« Le 12 septembre est un coup d’Etat militaire. Ce coup d’Etat a mis sens dessus dessous l’ordre constitutionnel et la politique et a créé une crise encore pire que celle d’avant le coup d’Etat pour la population et la politique. C’est la cause principale des problèmes connus aujourd’hui par la Turquie. »

« Le coup d’Etat a montré qu’on ne pouvait pas fonder un système solide, une démocratie solide, sur la négation de la liberté d’expression et des Droits de l’homme. Des problèmes nés de l’application des droits et des libertés peuvent être vécus en démocratie, et peuvent même menacer les démocraties, notre démocratie et notre République. Mais vous ne pouvez empêcher cette menace par un coup d’Etat militaire. »
Aujourd’hui, et notre démocratie et notre République qui a donné naissance à notre démocratie connaissent des problèmes. Nous sommes dans un processus de réformes inquiétant. La politique est sous l’hypothèque de l’argent et du commerce. La notion de démocratie se vide de son sens. Mais ce processus où la démocratie se vide de son sens et s’abâtardit ne suit plus le sillon du 12 septembre. Aujourd’hui, la solution aux problèmes rencontrés par la Turquie n’est en aucun cas un coup d’Etat militaire ni aucune autre voie anti-démocratique. La solution est que la politique se soucie encore plus de la démocratie et de la République.
 »


NDT :
* Dans certaines universités et grandes écoles turques, le premier d’une promotion, lors d’une cérémonie, pose une plaque portant son nom sur un tronc d’arbre prévu à cet effet.

- Traduction pour TE : Sebahat Erol

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Sources

Source : Radikal, septembre 2007

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