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La France irrationnelle *

samedi 13 mai 2006, par Haluk Sahin, Marillac

© Traduction Turquie Européenne

© Radikal, le 10/05/2006

Chargé d’enseignement à l’Université Bilgi d’Istanbul, homme de télévision et spécialiste en sciences de la communication, Haluk Sahin s’interroge, dans les colonnes du quotidien Radikal, sur les raison et déraison qui ont poussé des députés français à avancer cette propostion de loi visant la pénalisation de la négation du génocide arménien.

* En Français dans le texte.

Les Français ne manquent pas de raisons leur permettant de se présenter comme l’un des piliers porteurs de la civilisation occidentale. L’Art, l’architecture, la littérature, la révolution, la gastronomie, les vins, Paris. Vous n’en finirez pas de compter. Mais parmi tous ces atouts, il en est un qui tient une place particulière : la rationalisme philosophique, la raison.
Si les Français aiment à vanter les mérites de leur langue pour laquelle « si ce n’est pas précis et clair alors ce n’est pas du Français », ils adorent vanter les mérites de leur esprit aiguisé par ce rationalisme.

On peut débattre du fait de savoir si cette fierté est justifiée ou non. Mais on ne peut pas discuter de l’apport des penseurs français au courant rationaliste à partir du XVIIIe siècle. Mêlée de près au mouvement des Lumières, cette doctrine tient comme guide le plus approprié l’esprit et la méthode expérimentale, c’est-à-dire la science. Les croyances religieuses, les dogmes ou autres chimères ne sauraient prendre leur place.

Bien au contraire, la mission de l’esprit est de les interroger. De s’opposer, de s’affronter aux dogmes, aux tabous, aux lois.
Et la proposition de loi qui est appelée à être discutée le 18 mai prochain en séance plénière de l’assemblée nationale paraît, dans ce contexte, méchamment irrationnelle.

Une proposition « méchamment » irrationnelle

Pensez un peu : la France qui se prévaut de sa tradition rationaliste dogmatise un sujet historique relativement neuf pour lequel le débat n’est pas encore clos et propose d’en pénaliser une certaine façon de l’envisager !

Un pays doté d’une tradition de lutte contre les dogmes et les tabous, créerait une zone d’interdiction de pensée et d’expression ! Dans un certain sens, il ressusciterait le moyen-âge.
C’est vraiment une initiative dont on ne peut rendre compte par l’esprit ou la logique ; c’est le déni d’un pays par lui-même.
Voilà pour l’aspect philosophique de la question. Quant à l’aspect politique�

Cette proposition de loi force le cadre de la raison. Pensez donc que cette proposition de loi est faite en pleine conscience de ce qu’elle va agacer une Turquie de 75 millions de personnes, un pays traditionnellement ami de la France. Cette Turquie qui en renaissant des cendres d’un Empire écroulé s’est elle-même vouée au rationalisme à la mode française, et n’a pas choisi d’autre modèle que la France pour son avenir. Cette Turquie qui s’impose comme un acteur non négligeable dans ce nouveau monde en émergence.
Bien, mais pourquoi alors une telle loi ?

Il se dit que à l’approche des élections il faudrait s’attirer les voix des 400 000 Français d’origine arménienne. Cela ne me paraît pas convaincant. Les Français si rationalistes auraient-ils perdu du vue le déséquilibre entre les gains et les pertes ?
Peut-être que la raison principale, comme certains ne manquent pas de l’avancer, n’est pas de gagner les voix des citoyens arméniens, mais bien de perdre Turquie et Turcs qui se tiennent sur le seuil de l’UE ?

Sans doute certains Français sont, avec de telles initiatives, à la recherche d’une provocation des Turcs qui les ferait se dire �et bien si l�Europe c’est cela, gardez la donc pour vous� ! Mais une position si marginale peut-elle devenir l’axe principal de la politique française ?

Et s’il le devenait, que deviendrait alors la France ?

Je veux croire, quant à moi, que malgré tout, au final, la France finira par se réveiller et se dire � mince alors, autrefois, je me servais d’une chose appelée raison ».

La réaction des historiens français nous montre que cela est toujours possible. Certains observateurs avancent quant à eux, que les élites politiques françaises ont fait faillite au point de ne pas s’en remettre. Nos verrons bientôt qui des deux avait raison.

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