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Turquie : la question kurde, une question de terrorisme ?

jeudi 1er juillet 2010, par Ahmet Insel

La question kurde n’est pas une question de terrorisme. Et cela pour deux raisons.

- La première est que l’on ne reconnaît pas aux gens le droit de vivre en citoyen de Turquie avec une identité kurde. En Turquie, les citoyens d’origine kurde ne sont les victimes d’aucune discrimination pour autant qu’ils acceptent de se turquifier, mais cela ne signifie pas la reconnaissance d’une identité kurde. Et il est donc une question kurde dans ce pays parce que n’existe pas toute une série de droits concernant l’identité culturelle, à commencer par celui d’user de sa langue maternelle dans le système éducatif, à côté de la langue officielle qu’est le turc. Il est une question kurde dans ce pays parce que tous ceux qui ont voulu revendiquer ce droit en passant, par exemple, à un système de gestion municipale multilingue ont été déchus de leurs fonctions et conduits devant le juge, au pénal.
Il est une question kurde dans ce pays parce que, depuis 20 ans, les partis politiques qui ont tenté d’exister dans l’espace politique turc sous une identité kurde, ceux qui ont participé aux élections et qui ont réussi, malgré maints et maints obstacles, à obtenir des représentants au parlement, et bien, ces partis politiques ont été fermés les uns après les autres, ont vu leurs dirigeants interdits de politique, leurs députés privés de leurs immunités puis incarcérés. Il est une question kurde en réaction aux massacres, aux exécutions extra judiciaires, à cette dilution progressive, depuis des décennies, des revendications identitaires sous les vagues et les vagues des exodes successifs de déportation successives.
Pour toutes ces raisons, la revendication d’une reconnaissance de l’identité kurde, non pas verbale, mais bel et bien concrète, concernant les éléments du quotidien, s’éprouve et s’exprime aujourd’hui de façon plus urgente, plus cristallisée.

- La seconde raison pour laquelle la question kurde n’est pas une question de terrorisme est liée au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, en guerre contre Ankara depuis 1984). Il est absurde de définir le PKK comme une pure organisation terroriste, si ce n’est dans une démarche de contre-propagande visant à légitimer les politiques répressives de l’Etat. Le PKK est un mouvement d’insurrection armé, recourant également aux méthodes terroristes. Un mouvement terroriste n’affronte pas pendant des heures une armée organisée et entraînée. Il ne frappe pas par unité de cinquante combattants. Il pose des bombes en des endroits précis des villes. Au fond, le PKK est un mouvement insurrectionnel armé.

Même s’il a beau envisager le recours à la violence comme légitime et ne voir aucun inconvénient dans les méthodes terroristes, ne le considérer qu’en tant qu’organisation terroriste revient à faire l’autruche ou à préférer le maintien de la situation actuelle aux voies alternatives tournées vers une solution à la question kurde.

Le PKK est une organisation capable d’affronter des unités de l’armée turque pendant des heures, de lancer des actions simultanées en quatre ou cinq lieux différents à l’échelle du pays, un mouvement en mesure de partiellement piloter un parti politique pro-kurde ayant des représentants parlementaires, un acteur important dans la lutte pour l’égalité des femmes, une organisation entretenant un lien d’identification plus ou moins fort, non pas avec tous les Kurdes de Turquie, mais avec une partie non négligeable d’entre eux.

Le PKK est aussi une organisation incontestablement illégale, dont le statut de partie légitime à un règlement démocratique de la question kurde est discutable.

Une révolte légitime ?

D’ailleurs le PKK lui-même ne se définit pas comme une organisation légale mais comme un mouvement insurrectionnel. Considérer cette organisation à plusieurs facettes comme une simple organisation terroriste, la présenter en tant qu’exécuteur des basses œuvres de puissances étrangères ne signifie qu’envisager les seules réalités que nous souhaitons voir. Et l’expérience accumulée des années passées nous apprend quel est l’aboutissement d’un tel aveuglement.

Cette révolte est-elle légitime ? La question se noue sur ce point. Lorsqu’on considère la chaîne des révoltes kurdes dont le dernier maillon fut accroché lors des attaques d’Eruh et de Semdinli en 1984 par le PKK (attaques considérées comme le début de la guérilla du PKK), on peut trouver autant de prétextes qu’on le souhaite, mais là, ce ne sont plus les mots qui importent mais les conséquences. La révolte dure. N’est-il pas d’autre voie que la révolte armée pour résoudre la question kurde ? Certainement et voilà bien ce à quoi nous aspirons, mais à la condition que cette solution ne reste pas limitée à des promesses d’ordre économique, mais soit fondée sur la reconnaissance d’une identité.

La révolte du PKK est-elle couronnée de succès ? Si la visée de cette révolte est, sur le long terme, de créer un gouffre entre les Turcs et les Kurdes, alors oui, nous sommes en mesure d’affirmer qu’elle est sur la bonne voie. Toujours est-il que le côté turc est tout aussi responsable que le PKK du fait que, peu à peu, Turcs et Kurdes en viennent à ne plus pouvoir vivre ensemble. La responsabilité de ce fossé qui se creuse n’incombe pas au seul PKK. Les Turcs constituent la grande majorité de cette société. C’est eux qui doivent faire un premier pas, qui doivent accepter le principe de l’égalité des autres.

Après que le gouvernement ait parlé d’ouverture, effectué deux ou trois pas –même très limités- dans la direction d’une reconnaissance de l’identité kurde, si les Turcs se retournent, comme ils le font aujourd’hui, vers le front nationaliste sur lequel sont campés les partis d’opposition parlementaire CHP (Parti républicain du peuple, gauche nationaliste) et MHP (Parti du mouvement nationaliste, extrême-droite), alors ils endossent eux-mêmes la responsabilité du blocage, voire de la cristallisation des positions et des tensions sur cette question.

Aujourd’hui la Turquie est un pays qui, en quelques mois, sur son propre territoire, a perdu au cours de combats, d’attaques et d’explosions de mines, plus d’une centaine de soldats professionnels, d’appelés du contingent et de militants du PKK. C’est une guerre qui n’en a pas le nom. Et les responsables de la poursuite de cet état de fait, ne sont pas que les seuls membres du PKK, ce sont aussi les porte-parole, avec ou sans képi, de la « raison d’Etat ». L’AKP (gouvernement), le CHP tout autant ; et bien plus encore le MHP.

Tous ceux qui affirment vouloir continuer dans la voie qu’ils disent juste et qu’ils ont jusqu’à présent suivie en connaissent aussi les conséquences très précises. Et avec cette logique qui est la leur, nous voilà aujourd’hui parvenus au bord du gouffre.

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Sources

- Traduction pour TE : Marillac

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