elles sont désormais mon expérience."
Nazim Hikmet
"Önceki hatalarıma selam söyleyin
Onların adı artık tecrübe"...
- Gerbe déposée par Turquie Européenne le 24 avril 2013
- A Paris, à l’occasion de la commémoration du génocide arménien de 1915
- Crédits : Photo A. K.
Il n’est pas facile, quand on a ne serait-ce qu’un peu d’amour propre, de reconnaitre qu’on s’est trompé, mais l’exigence de vérité, la honte et la colère d’avoir été manipulé me permettent aujourd’hui de passer outre. J’ai contribué par le passé, dans les conditions décrites dans ce qui suit, à propager la propagande de l’État Turc, le moins que je puisse faire aujourd’hui est d’essayer de réparer en exprimant mes regrets d’avoir été ce qu’il faut bien appeler un négationniste et en demandant pardon à tous ceux que mes écrits d’alors ont pu choquer ou blesser.
Je tiens à affirmer que je reconnais non seulement le génocide arménien, que je n’ai plus aucun doute sur sa réalité, mais je suis aussi convaincu que l’État turc actuel, par son attitude de négation et son nationalisme forcené, se fait complice actif des bourreaux de l’époque dont les noms servent d’ailleurs toujours à nommer des boulevards et même des parcs pour enfants ! Preuve - s’il en était besoin - que la République de Turquie revendique sans vergogne cet héritage criminel.
La Turquie s’élèverait de reconnaitre et de regretter toutes les purifications ethniques qu’elle a mise en œuvre. C’est bien le refus d’assumer ce lourd héritage qui l’empêche d’accéder à la démocratie, car il l’oblige à falsifier sans cesse l’histoire et la réalité, allant même jusqu’à nier ses crimes actuels. La négation du génocide n’est pas seulement une « industrie » (Taner Akçam) mais elle façonne encore aujourd’hui profondément la société et les esprits.
Bien qu’il soit moins dangereux de faire ce « mea culpa » ici qu’en Turquie, je préfère, sans aucun état d’âme, que mon nom soit associé à ceux de mes amis Pınar Selek et Baskin Oran, mais aussi Hrant Dink, Ayse Günaysu, Hasan Cemal, Taner Akçam… qu’à ceux des « petits soldats du nationalisme turc » dont j’ai pu autrefois croiser le chemin.
Mon travail et celui de nos pages Internet « Turquie Européenne » est déjà, et sera, d’œuvrer sans faillir (dans la mesure de nos moyens) à la connaissance de l’histoire et à faire la promotion de ceux qui, en Turquie, combattent l’amnésie et le formatage délibéré des esprits par l’éducation et les médias.
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L’article publié dans « Les Nouvelles d’Arménie Magazine » :
De la cécité à la conscience : parcours d’un amoureux de la Turquie
- Au sommet du mont Nemrut
- qui se situe entre Malatya et Kahta (Adıyaman) dans le Kurdistan turc.
Probablement la sépulture d’Antiochos de Commagène - Le tumulus édiifé à 2400 m n’a jamais été fouillé. - Crédits : RB - 1995
J’ai décidé, fin 2012, à l’invitation d’Arsène Kalaidjian, de venir raconter l’histoire de ma rencontre avec la Turquie, de la lente évolution de ma perception, depuis un amour béat, en passant par une période d’activisme « sous influence » et celle ensuite de la prise de conscience à travers des rencontres qui furent décisives pour moi et qui m’ont amené à devenir ce que je suis aujourd’hui, un militant engagé au côté de ceux dans la société civile turque qui luttent en faveur des droits de l’homme, de la justice et de la mémoire et de ceux qui se battent pour l’ émancipation du peuple de Turquie. Cet article a été publié pour la première fois dans les Nouvelles d’Arménie Magazine en mars 2013.
Ma première rencontre avec la Turquie date de 1990, à l’occasion d’un voyage organisé. La destination de ce voyage doit beaucoup au hasard, car en dehors de Midnight Express, de lettres faites à des prisonniers en tant que membre d’Amnesty International et d’un ami qui y était allé dans le début des années 80, je n’en connaissais rien ou si peu que cela n’avait pas été vraiment déterminant dans le choix de cette destination.
Deux semaines de circuit et une semaine « libre » ont été le début d’un vertige, bien sûr les paysages et surtout la lumière y sont époustouflants, l’histoire y est présente à chaque pas, mais surtout les gens s’y montrent d’une extrême hospitalité et d’une grande gentillesse. En Cappadoce, je découvre des mélodies sorties du fond des âges et même un vieil « Aşık »(barde anatolien) qui nous joue d’oreille et au saz (luth turc) le seul morceau français qu’il connait : « les feuilles mortes » !
De retour en France la tête remplie de souvenirs et d’images, je sais que je retournerai en Turquie, pas comme un touriste « consommateur », mais avec des éléments me permettant de nommer et de comprendre mes découvertes et, en premier lieu, je dois en apprendre la langue de façon à ne pas dépendre des choix des guides ou des tour-opérateurs dans mes pérégrinations.
Les livres par lesquels j’ai commencé ma découverte sont ceux que l’on trouvait le plus facilement en libraire : « l’Histoire des Turcs » de Jean Paul Roux, « Histoire de l’Empire ottoman » de Robert Mantran ou encore l’« Atatürk » d’Alexandre Jevakhof. C’est alors que j’ai commencé à composer une bibliothèque avec mes acquisitions.
A partir de 1993, chaque année, je parcours la Turquie du nord au sud et d’est en ouest. En 1995, bien qu’on me le déconseille, (les combats avec le PKK sont alors à leur paroxysme) je prends la route de l’Est espérant pouvoir parvenir jusqu’au Sud-Est pour avoir ma propre appréciation de ce qui s’y déroule dans l’ignorance du reste du pays. La presse turque se contente en effet de retranscrire les communiqués triomphant ou les rapports sanglants de l’armée qui, bien sûr, ne présentent que des victimes civiles du PKK (disent-ils). Au cours de ce voyage, je vais sans en avoir conscience tout de suite, faire des expériences et des rencontres qui sèmeront en moi ce qui, bien plus tard, m’amènera au doute puis à la remise en question complète de ma vision de la Turquie.
- « Heureux celui qui peut se dire turc »
- Le credo nationaliste sur un mur d’Anitkabir, mausolée d’Atatürk et temple de la religion kémaliste.
- Crédits : RB - 1997
Je me rends d’abord à Ani. Cette année-là, il n’y a aucun touriste étranger au point d’être contraint de louer un taxi pour m’y rendre, Quand j’arrive sur le site, je ne perturbe que la tranquillité des marmottes qui s’enfuient devant mes pas. Ici on sent bien qu’un cataclysme a provoqué l’abandon des lieux, mais à l’époque, si je sais bien que c’est l’ancienne capitale arménienne pour l’avoir lu dans le guide Lonely Planet, mon inculture concernant les arméniens est totale.
Je poursuis mon périple par Doğubayazit, les contrôles militaires sur les routes se multiplient, la tension est palpable, les soldats sont visiblement à cran, et extrêmement désagréables avec les voyageurs des minibus et très soupçonneux à mon égard (Que vient faire un étranger dans ces provinces sous état d’urgence ?). Mon étape suivante sera Van. De la citadelle, on voit les traces de l’ancienne ville dont ne subsistent que les ruines des monuments en pierre. Je remarque notamment que seules les mosquées sont pratiquement intactes. Dans la nouvelle ville de Van, il y a un musée consacré au génocide commis par les arméniens envers les turcs (sic !), des ossements et des photographies y sont présentés comme « preuves » et des livres, dont certains sont en vente, viennent étayer cette thèse officielle dont à l’époque, je suis bien incapable de douter.
- Au sommet du mont Nemrut
- qui se situe entre Malatya et Kahta (Adıyaman) dans le Kurdistan turc.
Probablement la sépulture d’Antiochos de Commagène - Le tumulus édiifé à 2400 m n’a jamais été fouillé. - Crédits : RB - 1995
Les déplacements sont longs et possibles seulement le jour à cause du couvre-feu, je réalise que je vais devoir raccourcir mon itinéraire et je prends la direction de Malatya et du mont Nemrut. Nous sommes en pays kurde, le chauffeur du minibus chante des chants révolutionnaires en kurde à tue-tête, et ne cache pas ce qu’il pense du gouvernement d’Ankara... A Avanos, en Cappadoce, chez les amis turcs qui tiennent une agence de voyage et une pension, je discute avec Reza, le célèbre photo-reporter, qui me montre des photos de villages en feu et de chars dans les rues de petites villes du Sud-Est. Encore une fois, manquant de références, j’ai beaucoup de peine à réaliser ce que ces photos montrent, personne dans l’ouest de la Turquie n’a d’informations sur la féroce répression qui s’abat sur les Kurdes ainsi que les déplacements de population... Je saurais plus tard, ce qui s’est réellement passé durant les années où Tansu Çiller a été premier ministre, elle qui bénéficiait d’une excellente image en Occident à l’époque puisqu’elle était une femme au pouvoir dans un pays musulman.
Qu’on me pardonne ce long passage sur l’année 1995, mais il me semble important pour la compréhension de la suite de ce récit.
Les années qui suivront, je me ferais guide accompagnateur amateur pour des amis et des membres de ma famille jusqu’à ce que je rencontre en juillet 1997 à Avanos, où elle travaille comme réceptionniste et hôtesse, celle qui est devenue ma femme en août 1998. Ma nouvelle famille turque et mon épouse vont m’écarter pour un moment de toute préoccupation politique. C’est à la même période (janvier 1997) qu’intéressé par les possibilités d’Internet, je lance mon premier site baptisé « Amoureux de la Turquie ». Il s’agit d’abord, sans prétention aucune, de présenter la Turquie à un public novice et de parler de jolis endroits, de quelques rencontres, de musique et de culture en général.
J’adhère aussi à l’association A Ta Turquie (fin 1997) qui est une des rares associations à être vraiment ouverte aux non turcs. J’ajoute au site, en 1999, une page « Histoire » avec une chronologie non exhaustive de l’histoire des turcs et de l’Anatolie depuis le néolithique. Je reçois alors des mails hallucinants, des menaces, des insultes, des textes d’une violence inouïe à l’égard des turcs, m’accusant d’avoir volontairement omis de parler des arméniens et d’être un propagandiste à la solde d’Ankara... A l’époque, des forums franco-turcs dits d’« amitié franco-turque » sont apparus sur le Net, je les fréquente avec une certaine assiduité et j’y raconte mes mésaventures avec ces individus qui envoient les mails en question sous des noms arméniens. Les administrateurs de ces forums compatissent et m’assurent de leur soutien. Je n’ai encore, à ce moment-là, aucune raison de me méfier d’eux.
- Cimetière d’Eyyüp - Lieu de mémoire...
- Pourtant, les turcs ne peuvent pas lire les épitaphes des tombes de leurs aïeux.
- Crédits : RB - 1995
Dans les mêmes temps où naît le site « Tête de Turc », on me fait parvenir des documents prétendant démontrer qu’il n’y jamais eu de génocide, dont le numéro de « L’Histoire » d’avril 1995 et des articles de Bernard Lewis et de nombres d’auteurs négationnistes du génocide arménien. Et n’ayant à ce moment lu que peu de documents expliquant le processus ayant mené au génocide et décrivant les massacres qui en ont découlé, n’ayant jamais rencontré d’arméniens et ayant un a priori forcément négatif face aux attaques dont j’avais été l’objet, j’ai pris ces documents pour argent comptant et en ai même fait la promotion en reprenant à mon compte les thèses officielles turques et utilisant même dans mes écrits les fameux guillemets chers accompagnant le « G-word ».
En 2004, les créateurs d’un de ces forums me pressentant sans doute comme un bon petit soldat de la « cause » turque, me proposent de fonder avec eux une association dont le nom sera « Turquie Européenne » et qui, s’engagent-ils, ne devra s’occuper que de faire mieux connaître la Turquie en France dans l’objectif de son adhésion à l’Union Européenne. La Turquie a un problème d’image : à cette époque on est dans l’hystérie chez les opposants à la Turquie qui sont par certains dans la caricature extrême et agitent la menace turque en utilisant des arguments consternants – voire racistes - et en mettent en avant des personnages douteux comme un certain Del Valle. Je dois reconnaître que ces excès m’exaspèrent et me poussent à accepter cette offre. La création de l’association en avril 2004 sera même suivie d’un cocktail dans la résidence privée du Consul de Turquie le 19 juin 2004, les officiels turcs nous assurent alors de leur entier soutien. Naïf, et sans aucun doute grisé par cette confiance, je ne me doute pas une seconde qu’il puisse s’agir d’autre chose que d’une reconnaissance de mon travail pour faire mieux connaître la Turquie en France.
- La citadelle de Van
- Sur le rocher qui porte la citadelle de pisé, vestige de la capitale ourartéenne. En contrebas, des traces de l’ancienne ville dont il ne subsiste que quelques vestiges d’édifices en pierre.
- Crédits : RB - 1995
Les relations avec les deux co-fondateurs vont néanmoins rapidement se dégrader. En 2005, des dissensions sévères se font jour. Les causes en sont leur refus de laisser publier des articles critiques envers la Turquie et un conflit ouvert éclate dans leur forum suite à la censure systématique des opinions qui à leur yeux sont « antiturques ». Ces interventions sur le forum ont souvent pour auteurs des alévis, des kurdes, et, bien sûr, des arméniens. Toute personne prenant leur parti est censurée voire exclue. Les modérateurs du forum, dont font partie les (autres) initiateurs de TE, vont même jusqu’à utiliser de multiples identités pour donner l’impression que les défenseurs de leurs thèses y sont majoritaires.
Devant mon refus de céder et parce que j’ai le soutien d’une majorité des membres de l’association de l’époque, l’autre partie s’en va avec les deux co-fondateurs et le webmaster qui en profitera plus tard pour nous « punir » en refusant de nous céder le nom de domaine et en y installant une réplique de « Tête de Turc » dont il est évident maintenant que les mêmes gens ont été les instigateurs, voire même, les animateurs. Je dois alors me former en urgence à la maintenance du site et nous parvenons à sauver le site malgré tout avec un nouveau nom de domaine en « .eu ».
Commence alors une période difficile avec un nouveau rédacteur en chef qui va être continuellement malmené par quelques adhérents qui, sous prétexte qu’ils paient leurs cotisations, discutent inlassablement la publication de chaque article, arguant qu’en publiant des informations concernant le non-respect des droits de l’homme, et des éditoriaux d’intellectuels critiquant l’état, revisitant l’histoire et remettant en question le kémalisme, on allait « se couper des associations » de la diaspora. En même temps, certains parmi eux essayaient de nous contraindre à mettre en ligne des articles dont le contenu était désapprouvé par bon nombre de nos nouveaux membres. Ils voulaient faire de Turquie Européenne le porte-parole de la communauté turque et la défendre contre ses prétendus « ennemis ». L’administration de l’association devient très pénible se résumant presque uniquement à de la gestion de conflit.
- Une église d’Ani, l’ancienne capitale de l’Arménie.
- De l’autre côté de la rivière, l’actuelle Arménie.
- Crédits : RB - 1995
C’est durant cette passe difficile que je commence a me documenter sur le génocide, sur le sort fait aux kurdes et aux membres des minorités. J’assiste à des conférences et des colloques, et lors de l’un d’eux, le premier avril 2006, j’ai un bref entretien avec Hrant Dink. Nous entrons aussi en contact cette année-là avec son ami Baskin Oran dont nous commençons à traduire les articles.
Plus tard, le 9 novembre 2006, je participe à une rencontre turco-arménienne « Yavaş Gamats » à Paris, à l’initiative de l’Assemblée Européenne de Citoyens - Helsinki Citizens Assembly (AEC - HCA France) et de l’ACORT (Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie).
Le 19 janvier 2007, l’assassinat de Hrant Dink et surtout l’attitude des autorités turques vis à vis de ce crime ignoble, augmente encore le malaise au sein de l’association. Nous co-réalisons avec les Éditions Fradet un livre, « Être arménien en Turquie », qui est un recueil de traductions d’articles écrits par Hrant Dink et je traduis notamment celui dans lequel se trouve une phrase évoquant « le sang contaminé des arméniens par le poison turc » et qui lui valut la haine des nationalistes, un procès et ensuite son exécution par un nervi de l’« État Profond ».
Cette même année, Turquie Européenne crée un groupe sur Facebook qui nous amène un nouveau public plus jeune et plus enclin à un regard lucide et critique envers son pays d’origine.
- Conférence de Baskin Oran « Identités et conflits identitaires en Turquie. »
- Le dimanche 27 janvier 2008
- Crédits : D.E. 1997
Le dimanche 27 janvier 2008, nous profitons du passage à Paris de Baskin Oran pour organiser une Conférence intitulée « Identités et conflits identitaires en Turquie. » dans les locaux de l’Office de Tourisme de Turquie sur les Champs Élysées. Nous sommes les premiers étonnés de cette hospitalité alors que le sujet est extrêmement sensible en Turquie.
Je cède cette année-là, la présidence de l’association, ayant besoin de repos et de prendre du recul. Le choix que je fais alors en proposant une personne pour me libérer de la présidence va s’avérer plus tard désastreux pour l’association.
En 2009, Turquie Européenne contribue à la « Saison Turque » mais les conditions détestables de l’organisation d’une conférence par le nouveau président de TE rendent bientôt une scission inévitable.
L’assemblée générale de Turquie Européenne du 20 Février 2010 marque une rupture définitive et les principaux points de désaccord sont l’attitude à adopter vis à vis du révisionnisme et des dénis de l’état turc mais encore la reconnaissance ou non du génocide des arméniens.
A l’initiative de « Biz Myassine », des membres « historiques » de Turquie Européenne commémorent le 18 avril 2010 le génocide arménien devant le monument Komitas à Paris en compagnie de partisans du dialogue arméno-turc.
- Devant le monument Komitas à Paris
- Le 18 avril 2010, à l’initiative de « Biz Myassine », des membres « historiques » de Turquie Européenne commémorent le génocide arménien en compagnie de partisans du dialogue arméno-turc
- Crédits : Denis Donikian - 2010
La réunion de réorientation entre les membres du bureau et du conseil d’administration du 29 octobre 2010, prépare et entérine le recentrage sur le site Internet et la volonté d’être un reflet différent d’une société civile turco-européenne, une voix nouvelle qui porte une analyse critique sur la société turque à destination du public francophone qu’il soit issu de l’immigration de Turquie ou non.
Je demande l’indulgence des lecteurs pour ce long historique, je ne l’aurais pas écrit s’il ne me semblait pas nécessaire à la compréhension du chemin parcouru depuis ma première rencontre avec la Turquie en 1990.
La gestion de l’association Turquie Européenne depuis 2004 m’a permis de faire des rencontres qui m’ont amené à la prise de conscience progressive de ce qu’est l’état turc et de pourquoi et comment il est devenu ce géant aux pieds d’argiles qui impose l’amnésie à tout un peuple et qui, de surcroît, à l’immense et ridicule présomption d’espérer l’imposer au reste du monde !
Tout le début de mon parcours fût celui d’un « turcophile », qui maintenant avec le recul me semble bien candide et naïf, surtout de la part d’un ancien militant d’extrême gauche, syndicaliste et sympathisant de nombreuses ONG défendant les Droits de l’Homme... Il faut croire que l’amour, y compris d’un pays, peut rendre aveugle, sinon idiot !
L’essentiel, me semble-t-il, est d’avoir ouvert les yeux, et cette lucidité, je la dois beaucoup à mes amis turcs « dissidents » : Baskin Oran, Pınar Selek... Et à des français : Michel Atalay, l’association l’ACORT et Bernard Dreano de l’Helsinki Citizens Assembly France. Je remercie aussi quelques amis arméniens : Denis Donikian et Jacques Kebadian qui les premiers m’ont tendu la main et ont préféré une attitude pédagogique à la colère. Je suis reconnaissant aussi à des universitaires et chercheurs comme Étienne Copeaux, Samim Akgönül, Vincent Duclert et Hamit Bozarslan pour avoir contribué à faire jaillir la lumière dans mon esprit trop longtemps « égaré »...
- De la cécité à la conscience : parcours d’un amoureux de la Turquie
- Version publiée dans les Nouvelles d’Arménie en mars 2013
- Crédits : Les Nouvelles d’Arménie Magazine et Reynald Beaufort
- PDF - 3.8 Mo
Si ce long article pouvait convaincre certains de vos lecteurs qu’il est vain et contreproductif de menacer ou d’insulter. Tous les admirateurs de la Turquie ne sont pas forcément des marionnettes de l’état turc, ce dernier est, certes, très interventionniste quand il s’agit de son image, mais de là à imaginer que tous les « turcophiles » sont sciemment des ennemis des arméniens !
Pourquoi, aujourd’hui, malgré toutes les couleuvres avalées, garder le nom de « Turquie Européenne » ? Je me suis posé la question. Peut-on encore croire à la vocation de la Turquie à intégrer l’Union Européenne alors qu’aujourd’hui son gouvernement en foule au pied toutes les valeurs ? Mais peut-on pour autant abandonner tous ceux, intellectuels, étudiants journalistes et artistes qui en Turquie sont porteurs de ces valeurs de démocratie ? Doit-on oublier ceux et celles qui souhaitent une société enfin pacifiée, dans laquelle les femmes ont une place égale à celle des hommes, où toutes les composantes de la population, toutes les minorités qu’elles soient ethniques, religieuses, agnostiques, athées ou sexuelles vivent en bonne harmonie et à égalité de droits ?
C’est un nouveau sens pour Turquie Européenne et un nouvel engagement : Soutenir et faire connaître le travail des démocrates de Turquie à travers un engagement fort pour les Droits de l’Homme et la justice. La Turquie de ces précurseurs courageux aurait toute sa place dans une Union Européenne qui ne doit pas être seulement une communauté de marchands mais un espace où le droit prime sur la force, où les plus vulnérables sont protégés et où la paix sociale règne.
Je rêve maintenant d’une Turquie vraiment laïque regardant avec lucidité son passé, reconnaissant ses crimes, le génocide arménien, bien sûr, mais aussi les souffrances et spoliations infligées à toutes ses autres minorités. En redonnant à tous la possibilité de vivre leurs cultures et de renouer avec leurs racines, elle pourrait redevenir la nation cosmopolite qu’elle fût avec, pourquoi pas, le retour pacifique et choisi de ses anciennes populations ayant fui le harcèlement de l’État. Qui connaît Istanbul sait la nostalgie qu’éprouve cette ville du multiculturalisme qui était sa raison d’être et sa grandeur.
Le nationalisme fût peut-être un mal nécessaire pour mettre à bas les empires, mais le temps est maintenant venu de construire des régions se fédérant dans une gouvernance mondiale sur la base du volontariat. Il est urgent de construire tous ensemble cette entité supranationale pour gérer la répartition de l’énergie et ressources afin de sauver cette planète de la catastrophe annoncée. Il faut solder les comptes du passé pour pouvoir avancer, pour cela aucun pays ne pourra faire l’économie de la mémoire, de la réparation et du pardon.
Reynald Beaufort, janvier 2013. Mis à jour en janvier 2015