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Turquie d’Europe

lundi 5 juillet 2004, par Patrick Besson

Les Turcs ne seraient donc pas des Européens. Ah bon ? Ça a dû leur faire un choc d’apprendre ça, eux qui ont occupé l’Europe pendant plusieurs siècles, quand ils s’appelaient les Ottomans. Ils furent athéniens, belgradois, bucarestois... Comment s’appellent les habitants de Sofia ? Les Sofistes ? Sous le communisme, je le sais : les Sofialistes ! Peu importe : les Turcs ont également habité Sofia. Que dis-je, habité : dirigé. Et la Bosnie, elle ne se trouve pas en Europe, peut-être ? Ce n’est pas ce que j’ai entendu ici et là - plutôt ici, en fait - pendant dix ans. Il y a même eu, si mes souvenirs sont bons, on va plutôt dire exacts, une liste Sarajevo aux élections européennes de... 1996 ! Eh bien, les Turcs ont également occupé Sarajevo. Pendant plusieurs centaines d’années. La preuve : toutes les mosquées qu’ils y ont bâties. Il n’y a dans un sens pas de peuple plus européen que les Turcs, car ils ont vécu dans davantage de pays européens que tous les autres Européens, sauf peut-être les Allemands, mais eux c’était pendant cinq ans (1940-1945), alors que les Turcs ça a été pendant six siècles (1314-1918). En 1909, quelle était la composition du Parlement turc ? 147 Turcs, 60 Arabes, 27 Albanais, 26 Grecs, 14 Arméniens, 10 Slaves et 4 Juifs. Quasiment l’Assemblée de Strasbourg !

Que sont les Turcs, s’ils ne sont pas des Européens ? Des Asiatiques ? Pas assez jaunes. Des Africains ? Pas assez noirs. Des Américains ? Je sais que mes notions de géographie ne sont plus ce qu’elles étaient en 1975, année où j’ai passé le bac au lycée Voltaire (interrogé sur l’agriculture chinoise : 19/20), mais ça ne me paraît pas du tout possible que les Turcs soient des Américains. Il reste deux solutions : ou bien les Turcs sont des Européens, ou bien ils sont des Turcs. Un point c’est tout. Formeraient un continent à eux tout seuls. Il faudrait alors les appeler les Turcoens. Ou les Turcotiques. La Turquie ne serait plus un pays parmi d’autres mais devrait être considérée comme une entité autonome, plantée au milieu du monde comme un arbre dans le désert.

Il paraît que si les Turcs devenaient européens ça ferait trop de musulmans en Europe, tout d’un coup. Exactement l’argument employé par les Serbes de Bosnie, après la partition de la Yougoslavie. Je rappelle qu’à l’époque ils se sont drôlement fait appeler Gaston. L’islam - je regrette que ce soit à moi de le répéter - est une religion comme les autres. 8 h 45, France 2, chaque dimanche : « Islam magazine ». A part les viticulteurs et les charcutiers, je ne vois pas qui elle gêne. Ou alors nous entrons dans un drôle de monde, où il ne fera pas du tout bon vivre, même dans une Europe non élargie aux Turcs.

Ne nous privons pas des Turcs ! Ils nous seront bien utiles, le jour de l’invasion américaine : on les mettra devant. « On peut dire que nul ne saurait se défendre contre cet immense torrent humain, ni arrêter par de fortes digues le flot invincible de cette mer ; car l’armée de la Perse est irrésistible et son peuple a l’âme intrépide » (Eschyle, « Les Perses », traduction nouvelle de Dimitri T. Analis, La Différence). Qui préférez-vous croire : Eschyle ou Philippe de Villiers ? François Ier ou Jean-Marie Le Pen ? Moi ou Alain Juppé ?

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