Passons un instant la tête sous le petit nuage du football avant d’y remonter bien vite ce soir dans l’espoir… énorme d’une victoire qualificative pour la finale de la coupe d’Europe !
Difficile. Il nous faut revenir en arrière. Aux matches de poule. L’Irlande pourtant non qualifiée avait réussi l’exploit de passer un but à la pourtant solide défense européenne. Et un de chute, un, pour le traité de Lisbonne !
Le fait est là, l’Europe encalminée et les projets effondrés sur les basques !
Le temps n’est ni aux lamentations – parce qu’il faut faire avec ce qu’est l’Europe aujourd’hui - ni aux accusations, car il est trop simple de reporter la faute sur les autres (les Irlandais, le texte mal écrit, Rupert Murdoch, la presse, les nationalistes et les populistes…) pour donner dans le plus pur déni de responsabilité.
Et pourtant le chœur des pleureuses n’a cessé de donner dans les octaves depuis l’annonce du résultat irlandais : quelle ingratitude irlandaise que celle consistant à renier la vache à lait des subventions qui ont fait du tigre celtique ce qu’il est aujourd’hui devenu !
Mais justement.
Si l’intégration à l’UE, politique dans un premier temps, puis économique et commerciale ensuite, peut à elle seule faire office de projet sous forme d’une feuille de route européenne, il est évident qu’une fois l’intégration et la mise à niveau plus ou moins advenues, l’illusion du projet a tôt fait de partir en fumée chez les nouveaux intégrés et de tourner à l’angoisse chez les intégrants.
Bilan : deux non en 2005 au cœur de l’Europe historique. Un non de plus en 2008 dans un pays intégré avant la grande vague d’élargissement de 2004.
Le projet d’une Europe en construction en est ressorti quelque peu édenté ! Quo vadis Europa ?!
Il devient chaque jour plus évident qu’une Europe qui se contente d’avaler de nouveaux membres est une Europe qui joue le double-jeu de la grenouille en concurrence libre et parfaite avec le bœuf et du temps dévorant ses propres promesses et enfants politiques.
A 27 états-membres, il est certain que l’UE a atteint une limite. D’aucuns en font déjà la frontière terrestre de l’Europe en des lieux improbables. Mais là n’est pas notre propos, vous l’aurez deviné.
L’UE atteint ici une taille critique et une frontière à la proximité de laquelle l’évidence de son projet politique est contrainte d’être réinterrogée. Soit, il y eut l’intégration qui nous occupa pendant plusieurs décennies, mais qui aujourd’hui par son ampleur vient invalider la viabilité de ce qui aurait pu suivre : la naissance et l’affirmation d’une Europe politique et démocratique qui puisse revêtir un sens pour les presque 500 millions de citoyens européens. Car telle est la question : l’intégration mais après… ?
Opacité européenne
Et la frontière avec l’avenir de l’Europe semble ici si opaque que l’évidence même du projet européen semble être frappée d’évanescence. He oui, l’évidence des seuls fonds européens n’est plus aussi évidente ! Pour les Irlandais qui avec 2004 et 2007 voient atteint leur statut antérieur d’enfants chéris de Bruxelles ! Alors imaginez un peu pour les Français ou les Néerlandais, membres historiques !
Briser ce charme de l’opacité européenne ?! Briser ce philtre de la fin de l’Histoire incarnée en cette réunification de l’Europe ?!
Fin des idéologies aidant, fin de l’Histoire confirmant, il faudra faire preuve de pragmatisme.
Tous les enjeux, tous les défis de l’Europe démocratique à venir sont là : la crise écologique qui comprend la question des transports, de l’énergie (de l’approvisionnement, de la recherche, des coûts et de la fiscalité), la crise économique et financière, la crise agricole…
Est-il la moindre de ces questions qui n’intéresse pas directement le citoyen européen ?
Par ailleurs, est-il une seule de ces questions qui puisse connaître une réponse strictement nationale ?
Assurément non. La problématique est ici celle d’une prise de responsabilité collective. Or de deux choses l’une :
soit cette prise de responsabilité se poursuivra sur une étroite voie nationale, se muant en responsabilité malheureuse et impuissante confinant à l’héroïsme ou au martyre populiste des élites politiques nationales sur le mode du « on n’y peut rien, c’est la faute à Bruxelles ! »
soit cette prise de responsabilité s’effectuera sous la pression d’une opinion publique européenne enfin mobilisée : il faut pour cela l’alliance de partis transeuropéens autres que les coquilles vides des groupes actuels du Parlement européen, et d’institutions européennes démocratisées, donnant plus de place au pouvoir de contrôle voire d’initiative du Parlement.
En cela, l’échéance des élections européennes de 2009 est capitale : elle pourrait permettre à toute l’Europe du non de se faire entendre autrement que par le rejet si jamais… Si jamais les classes politiques nationales acceptent de donner à la campagne toute l’importance et tous les candidats qu’elle mérite. Les modalités du traité de Lisbonne prévoyant notamment la nomination du Président de la Commission européenne par le Parlement est à même de permettre l’émergence de campagnes transeuropéennes portant sur des thématiques européennes.
Sommes-nous dans le rêve ? Au vu de la hauteur parfois (?) prise par le débat politique en France, nous n’en sommes pas loin.
Et la Turquie là-dedans, me direz-vous ? Il faut déjà qu’elle remporte la coupe d’Europe. Après, ma foi, inchallah…
La Turquie fait aujourd’hui les frais de cette limite de ce blocage ou cap difficile à dépasser dans l’histoire du projet européen et que beaucoup tiennent pour une frontière physique. Et ce à un double niveau :
dans le débat européen où son processus d’adhésion est ouvertement remis en question
dans le débat turc où l’absence d’une position européenne nette pèse sur le fil des débats : on ne renforce pas la main des pro-européens en douchant systématiquement le moindre de leurs espoirs.
Il n’en demeure pas moins qu’une fois cette frontière démocratique franchie, le débat sur la Turquie pourrait changer de ton et de nature. La candidature turque pourrait peu à peu entrer en résonance avec nombre de projets concrets d’une Europe enfin responsable de son avenir. Et apparaître pour ce qu’elle est, à savoir un formidable enjeu de civilisation en phase avec le projet d’une Europe politiquement pertinente à l’échelle du globe.
On le voit ici : le processus d’adhésion de la Turquie n’est pas un simple processus d’intégration - rattrapage d’un grand pays. Elle est surtout un processus de convergence entre une Europe qui se pense comme un acteur politique global et un pays d’Asie mineure (oulah !) conscient des atouts qui sont les siens dans l’affirmation de ce rôle neuf de l’UE.
Le débat sur la Turquie dans l’Europe n’est qu’une partie du débat démocratique européen à venir. Le plus tôt possible, espérons-le.