La demande d’interdiction de l’AKP introduite devant la Cour constitutionnelle par le Procureur en chef de la Cour de cassation turque a suscité un grand étonnement, aussi bien parmi les Turcs Européens et que dans l’opinion publique européenne.
L’acte d’accusation du Procureur en chef a donné lieu à une vague de protestations en Turquie, de la part de nombreux partis politiques, associations et barreaux. Une vague de protestations similaire a également émané de nombreux partis politiques et associations en Europe.
Au sein du Parlement européen, de nombreux eurodéputés, parmi lesquels Ria Oomen-Ruijten, Graham Watson, Jan Marinus Wiersma, Joost Lagendijk, Cem Özdemir et Ari Vatanen, ont jugé cette demande inacceptable sur le plan des principes et du cadre démocratiques et s’y sont opposés.
Dans des déclarations datant des 15, 29 et 31 mars 2008, le Commissaire européen à l’Élargissement M. Olli Rehn a lui aussi pris position contre cette demande en la jugeant infondée sur le plan des principes démocratiques. Par ailleurs, il a déclaré que, dans une démocratie normale, les questions d’ordre politique doivent être débattues au Parlement et tranchées dans les urnes, non devant les tribunaux. Il a enfin souligné que cette demande d’interdiction allait porter préjudice aux intérêts à long terme de la Turquie et perturber le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
La Turquie est une nouvelle fois le théâtre d’une mise sous pression des organes politiques légitimes par le biais d’ingérences extra-politiques.
La demande d’interdiction introduite par le Procureur en chef de la Cour de cassation turque nous interpelle tant par son contenu que par son timing.
Avant tout, il est important de savoir que le parti dont l’interdiction est demandée :
1. a reçu, lors des élections législatives du 22 juillet 2007, le suffrage d’un citoyen turc sur deux ;
2. a recueilli massivement des voix dans toutes les régions de Turquie, que ce soit au sud ou au nord, à l’ouest ou à l’est, et a fini en tête dans quasiment toutes les villes, _ alors que les autres partis n’ont pu recueillir des suffrages que dans un nombre limité de régions ;
3. a reçu, lors d’élections parfaitement exemplaires, le droit d’exercer seul le pouvoir durant cinq ans pour la deuxième fois consécutive ;
4. a approché les problèmes fondamentaux de la Turquie avec plus de courage que durant toutes les précédentes législatures et a fait des réformes en faveur de la démocratie, des droits de l’Homme, des libertés, de la Constitution civile et des relations UE-Turquie sa priorité.
Les motifs sur lesquels se fonde la demande d’interdiction de l’AKP introduite par le Procureur en chef de la Cour de cassation turque sont loin de toute vraisemblance. Il est évident que le Procureur en chef n’agit pas en homme de droit, mais à la manière d’un porte-parole d’un parti politique rival. Par conséquent, la demande d’interdiction, à tous points de vue, n’est pas juridique, mais politique. Et elle est le résultat de la jalousie suscitée par la respectabilité de l’AKP au sein du peuple turc.
Par ailleurs, il est important d’analyser le timing de la demande d’interdiction.
En effet, il est interpellant de constater que cette demande d’interdiction survient à un moment où les travaux entourant le projet de Constitution civile, de nature à faire entrer la Turquie, sur le plan de la démocratie, des droits de l’Homme, des libertés et du développement de la société civile, véritablement dans le 21e siècle, sont en cours de finalisation, où l’engouement pour les relations Turquie-UE renaît au sein de la population, et où, surtout, pour neutraliser les ingérences et tentatives illégales de renverser le pouvoir démocratiquement élu, de nombreux membres de réseaux sont appréhendés et remis entre les mains de la justice.
La demande d’interdiction de l’AKP a porté atteinte à la conscience collective et à l’impartialité du pouvoir judiciaire. De plus, en ce début de 21e siècle, elle a mis à mal les espoirs de la population turque de voir apparaître une véritable démocratie en Turquie.
Au sein des démocraties institutionnalisées, l’interdiction des partis politiques a été rendue difficile, presque impossible :
Selon les principes du Conseil de l’Europe sur les bonnes pratiques des démocraties, l’interdiction d’un parti ne peut être justifiée que pour les partis qui appellent à l’utilisation de la violence ou utilisent la violence comme moyen politique pour renverser l’ordre démocratique constitutionnel ;
La Cour européenne des droits de l’Homme estime qu’un parti politique peut promouvoir un changement de législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’État à deux conditions :
- a) les moyens utilisés à cet effet doivent être légaux et démocratiques
- b) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux ;
La Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne ne s’engage dans une procédure d’interdiction de parti que si le Parlement allemand ou le Gouvernement allemand en introduisent la demande. Nul autre organe n’est compétent pour cela. Ils peuvent aussi, même lorsqu’il s’agit à leur avis d’un parti anticonstitutionnel, renoncer à introduire une telle demande, par exemple lorsqu’ils considèrent comme plus utile de combattre le parti en question par des moyens politiques. En revanche, s’ils introduisent une demande d’interdiction à l’encontre d’un parti, la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne devra examiner si le parti en question, d’après ses buts ou d’après l’attitude de ses adhérents, cherche à porter atteinte à l’ordre fondamental libre et démocratique ;
En droit belge, il est impossible de prononcer l’interdiction d’un parti politique. En revanche, un parti politique qui ferait ouvertement campagne pour la suppression du régime démocratique pourrait, conformément à la loi du 4 juillet 1989, être privé de dotation publique.
La demande d’interdiction de l’AKP met dans l’embarras le peuple turc, aussi bien en Turquie qu’à l’étranger. Elle fragilise l’action de ceux qui ont à cœur de soutenir la Turquie sur les questions internationales qui la concernent et elle constitue une aubaine pour tous ses détracteurs.
La position de l’Union des Démocrates Turcs Européens est claire. Aucun parti politique, grand ou petit, brillant ou médiocre, ne doit pouvoir être fermé, s’il mène son action en conformité avec les principes démocratiques. À travers ce communiqué de presse, nous déclarons avoir pleine confiance dans les forces démocratiques de la Turquie, que nous soutenons.
Nous sommes convaincus que la Turquie sortira vainqueur de cette conjoncture difficile et que les principes de justice et d’impartialité du droit prévaudront sur toutes autres considérations.