A quand le Mishima turc ? Question abrupte et pour le moins surprenante. Pourquoi Mishima me direz-vous ?
Notons trois points :
D’abord parce qu’il est japonais et que, d’une façon ou d’une autre, le Meiji japonais (1868) ne peut pas ne pas intéresser ceux dont la vie reste fortement marquée par le Meiji kémaliste (1923). Révolutions menées par le haut toutes les deux, en attente de leurs conséquences par le bas, économiques, sociales et culturelles.
Ensuite parce que Mishima, qui se suicide en 1970, porte en lui deux choses :
a- les contradictions violentes d’une société japonaise soumise à une modernisation radicale en l’espace de quelques décennies
b- les contradictions de ce nouvel être en train d’advenir dans la réalité japonaise : l’individu.
Or n’est-ce pas la problématique sociale et culturelle à laquelle la Turquie est aujourd’hui soumise depuis l’émergence d’une classe moyenne jusqu’à celle de l’individu extirpé de ses gangues communautaires et familiales ?
Enfin parce que Mishima, et cela est lié au point précédent, est un écrivain majeur, homosexuel, revendiquant et pensant son homosexualité.
Or ce sujet n’est pas peu d’actualité en ce moment en Turquie.
En effet, les propos fort critiqués de Bülent Ersoy, diva transsexuelle turque critiquant ouvertement le sado-masochisme nationaliste et patriotique marquent une première en Turquie.
C’est la première fois qu’une figure LGBT (Lesbian, gay, transgender...) se permet d’attaquer de front le maso / machisme officiel et général qui ne lui avait jusque-là permis que de se donner en spectacle sur scène.
Première fois qu’une telle diva ose franchir les feux de la rampe pour se placer sur une scène bien réelle et relayer ainsi, de manière bien évidemment amplifiée, la voix jusque-là inaudible des objecteurs de conscience, antimilitaristes et souvent homosexuels.
L’irruption dans la réalité politique et sociale de cette partie fantasmée et spectaculaire de société turque a deux significations : la prise de parole et l’affirmation d’une nouvelle « minorité » ou différence
la poursuite et l’approfondissement du processus de différenciation des identités dans un pays et en un temps où l’autre et les autres ne cessent de faire irruption sur la scène sociale et politique.
Alors, non, ne laissez pas s’écrire ce qui n’est pas écrit : Bülent Ersoy n’a rien à voir avec Mishima. Mais par sa prise de parole, la diva a, par contre, peut-être ouvert la voie au mouvement qui finira par accoucher d’un tel auteur en Turquie. Un de ces auteurs qui comme Gide ou Genet sont absolument nécessaires à l’avènement d’une société fondée sur un individualisme dont ils explorent avant les autres, et dans la souffrance, les limites et les contradictions en confrontant « la littérature et le mal » (Georges Bataille), la langue et certaines de ses limites.
Cela étant, le processus de différenciation à laquelle est soumise chaque jour un peu plus l’identité turque, l’irruption bavarde de cet autre que l’on a tenté de cacher ou de taire pendant des années et qui ne peut être rattaché qu’à un démembrement, celui du traité de Sèvres (1920) dont le syndrome n’a pas quitté la mémoire turque, ne dépend pas que d’un processus endogène à la société turque mais est complètement liée à son ouverture croissante et irréversible sur un monde globalisé et globalisant.
Conséquences ?
Le processus sera rapide et le Mishima turc n’attendra pas 100 ans (2023) pour tenter le Seppuku sur les marches du mausolée d’Atatürk à Ankara.
Et puis comme tout se répète mais en nuances, à nouvelle époque, nouveau look : un brin schyzo, un brin cyber, peut-être faudra-t-il le chercher quelque part entre Dantec et Mishima.
A suivre...