Que le Premier ministre Erdogan ait récemment pu dire « qu’on pouvait discuter avec Imrali [île-prison sur laquelle est enfermé Abdullah Öcalan, leader du PKK, NdT] et que le processus d’Oslo pouvait être poursuivi [Processus de négociations secrètes avec le PKK en 2008, NdT], pourrait constituer un point de rupture vers la fin de cette période terrible que traverse notre pays depuis plus d’un an.
La théorie et la pratique selon lesquelles il serait possible de parvenir à une solution sur la question kurde par la voie de « l’opération perpétuelle », en ville et dans le maquis, a marqué l’année que nous venons de traverser. La thèse selon laquelle « tout allait être merveilleux » via les bombardements et la multiplication des mises aux arrêts, a peu à peu gagné en popularité. Elle a gagné un poids extraordinaire et suscité un authentique « enthousiasme social ».
La police et la justice ont ainsi accumulé un véritable capital en terme de détermination à mener des « opérations ». On a lu des chroniques très assurées nous affirmant que les conditions internationales étaient réunies et que les pays voisins nous appuieraient afin d’en finir avec le PKK. On a alors connu un vrai processus de ’travail de l’opinion’. On a fermé les portes d’Imrali. Öcalan a été condamné à l’isolement. Au ministère de l’Intérieur, on a nommé un partisan des « opérations ».
Au sein du PKK, l’aile la plus dure a pris la main. Le PKK a multiplié des attaques, ou « opérations anti-opérations ». De jeunes gens sont morts. La Turquie s’est enfoncée dans la douleur. Nous nous sommes réveillés chaque matin avec de nouveaux morts.
Des milliers de personnes ont été arrêtées, dont des maires, des avocats, des docteurs, des journalistes, des dirigeants politiques ; les cris de colère se sont élevés aux portes des tribunaux. Ceux qui croyaient en la négociation ont été ridiculisés et menacés.
La violence a attisé la violence
Nous en sommes revenus au point de départ. L’initiative conduite courageusement par le gouvernement en 2008 sous le nom « d’ouverture kurde » a connu de sérieuses interruptions à diverses étapes. Alors qu’il semblait qu’une nouvelle période s’ouvrait avec l’arrivée de membres du PKK ayant déposé leurs armes au poste-frontière de Habur (Irak- Turquie), tout s’est mis à tourner à l’envers (avec les provocations de l’opposition et l’insuffisante implication du BDP, le parti kurde).
Le gouvernement a pris peur et les membres du PKK ont regretté d’être revenus ; une partie ont été arrêtés, les autres sont repartis.
Si les partisans de l’action proclament encore (avec conviction) qu’il n’est pas question d’arrêter, leurs thèses sont en faillite flagrante après un an de mise en pratique.
Le Premier ministre délivre des messages susceptibles d’ouvrir une nouvelle période, avec notamment la promesse de « rouvrir les portes d’Imrali ». [...]
Que le chef du gouvernement se lance dans des démarches ’vraiment nouvelles’, ne peut qu’être utile au pays.
Bien sûr, même s’ils semblent avoir perdu la partie, les partisans de l’action ne s’arrêteront pas là. Il pourront trouver un allié de poids dans le MHP [extrême-droite]. Et au-delà du MHP, ils pourraient vouloir maintenir le CHP [Parti kémaliste, principal parti d’opposition, NdT] en dehors du ’processus’ de dialogue. Une aile de l’AKP comme une aile du PKK pourraient également se prêter à ce jeu-là. Il est vrai qu’ils détiennent un certain poids médiatique ainsi qu’une vraie capacité à peser sur les esprits.
Mais ils pourraient connaître quelques difficultés à ramener la Turquie dans les ornières des années 1990.
Le Premier ministre lui aussi, a vu que cette voie de l’action perpétuelle n’en était pas une. Tout comme Öcalan. Poursuivre dans cette voie crée les conditions nécessaires à des divisions irréparables entre deux peuples et deux sociétés.
Mais il n’est pas non plus facile de régler par la négociation un problème ayant causé la mort de dizaines de milliers de personnes, de trouver ainsi une solution à un conflit de près de trente ans. Bien sûr que dans l’approche négociatrice, il peut y avoir des erreurs d’analyse ; qu’il y aura des hauts et des bas.
Mais voyons bien cela désormais : plus nous tarderons et peinerons à nous entendre avec les Kurdes de Turquie, plus la situation prendra une dimension inextricable, plus notre société perdra en équilibre, plus des forces étrangères s’immisceront dans le jeu.
Il est évident que les pays voisins se servent de cette situation.
Il est très encourageant que l’on en revienne à une voie raisonnable malgré tant de souffrances, tant de tensions.
Tout le monde doit contribuer positivement à ce processus. A commencer par le Parti républicain du peuple, le CHP.