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Turquie : « Ah ces libéraux ! »

dimanche 6 novembre 2011, par Oral Çalışlar

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En Turquie, la thèse en vogue aujourd’hui est la suivante : « on met les opposants au trou et on finit le PKK en silence. » Le journaliste Oral Çalışlar réagit à l’accélération récente des arrestations concernant des intellectuels et journalistes en Turquie.

Il s’agissait en fait d’une question de terrorisme. « Et nous, nous réglions le problème dans le cadre de la lutte antiterroriste. […] Si ces gens-là ne s’étaient pas pointés pour dire « le problème kurde, c’est ça », qu’ils n’avaient dressé le monde entier (contre nous), hé bien cela ferait belle lurette qu’on en serait sorti de cette histoire. »
Ce sont là les arguments dominants des dix – quinze dernières années. On disait que le problème allait se régler à grands coups d’incendies, de destructions, d’évacuations de villages, de crimes non élucidés. Et parmi ceux ne partageant pas cette opinion, il en fut qui furent tués, traînés en prison ou devant les tribunaux. Vous rappelez-vous des jours durant lesquels Yachar Kemal fut jugé ? Il fut jugé pour un article critiquant la politique étatique sur la question kurde dans le magazine allemand « Der Spiegel » en 1995. il fut condamné à un an et huit mois de prison. En sursis. Il n’est rien qui ne soit pas arrivé aux intellectuels un tant soit peu critiques. En ces temps-là, c’étaient les militaires qui dominaient sur cette question-là, la question kurde (ou pour le dire à la militaire, le terrorisme), et les moyens de s’en débarrasser. Les politiques préféraient ne pas trop « se mêler de la question ». Et la justice, c’étaient encore les militaires qui se chargeaient de la piloter.

En ces temps-là, parmi ceux qui s’attiraient le plus la foudre des lieux de pouvoir, politiques, militaires ou étatiques, il était les « intellectuels libéraux ». Et elle était répandue, la croyance selon laquelle tout irait bien mieux s’ils n’existaient pas.

La période AKP

Avec le procès Ergenekon, la tutelle militaire sur les affaires civiles a été limitée. Quant à la question kurde, le gouvernement AKP développait un discours nouveau et progressiste.
Un processus « d’ouverture kurde » a même été lancé. L’espoir a grandi parmi la population ; chez les nationalistes, ce fut la colère. Les positions favorables à une sortie négociée de cette question, et à ce que le PKK revienne à la vie civile, ont commencé à gagner du poids. On se servait des positions de ceux que certains taxaient « d’intellectuels libéraux » et que Devlet Bahçeli, leader du parti d’extrême-droite, tenaient pour les « douze salopards ».

En 2005, le premier ministre Tayyip Erdoğan « débarquait » à Diyarbakir dans le but d’exposer ses positions quant à une solution ; à la même occasion, il avait écouté des intellectuels lors d’une entrevue de près de quatre heures au cours de laquelle, pour la première fois, il avait parlé de « problème kurde ».

Compagnonnage avec les intellectuels

La Turquie traversant une grande mutation, il y eut comme une alliance entre les intellectuels démocrates et l’AKP, les religieux. Les intellectuels démocrates n’avaient pas de base sociale bien établie ou de courroie de transmission. Mais leur positionnement aboutit à un fractionnement parmi les laïques, au développement de courants variés.
Les dominants de cette époque - pour une bonne partie aujourd’hui inculpés dans le cadre de l’affaire Ergenekon – développaient une allergie toute particulière à ces « intellectuels démocrates ». Nous pourrions même dire qu’ils leur attribuaient la responsabilité de leur propre chute.
Dès le début, les relations avec l’AKP connurent des hauts et des bas. Des affrontements eurent lieu sur la question de l’approfondissement de la démocratie. Parce qu’il faisait de la politique, l’AKP intégrait à ses propres équilibres à la fois le nationalisme, les tendances autoritaires propres à notre société, ainsi que l’étatisme et les logiques d’Etat dont peu à peu il avait commencé à devenir le maître. Et il en venait à une position qu’on pourrait résumer à « la démocratie nécessaire ».

Le problème le plus compliqué

La question kurde est la partie la plus difficile de sa tâche. Et la tension est à nouveau remontée sur ce point. Certains « nouveaux stratèges » sont arrivés sur le devant de la scène en disant que « l’affaire du PKK pouvait être réglée en trois mois ».
Maintenant l’un des problèmes fondamentaux est à nouveau celui des « libéraux ». Il en est pour penser que s’ils n’étaient pas là, à s’opposer à leur stratégie de « règlement », alors leurs affaires marcheraient bien.
En Turquie, la thèse en vogue est la suivante : « On met les opposants, les éditeurs et les académiciens au trou et on en finit avec le PKK, en silence. »
Et nous voyons les tenants de telles thèses faire ensuite marche arrière et dire des choses de ce genre : « on ne pourrait régler le traumatisme que la destruction du PKK pourrait causer chez les Kurdes... »
Je me suis rappelé les paroles de la chanson d’Ahmet Kaya : « Partout l’incohérence, partout c’est gauchement... »
On parle, on parle... « Ah s’ils n’étaient pas là ces libéraux ! »
 

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Sources

Source : Radikal, le 4-11-11
- Traduction pour TE : Marillac

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