- Manifestation suite au massacre d’Uludere
Au lendemain des 35 morts d’Uludere, bombardés par l’aviation turque dans le sud-est de la Turquie, Oral Çalışlar pose la question de la ligne suivie par l’AKP sur la question kurde.
A la question, « pensez-vous vous excuser pour le massacre d’Uludere ? » le vice Premier ministre et porte-parole du gouvernement, Bülent Arınç, n’a pas répondu de façon nette, il a cherché à gagner du temps : « Nous enquêtons, et nous agirons en fonction des conclusions de l’enquête. »
Or, nous sommes là confrontés à une catastrophe. Et l’on continuera sans doute longtemps à discuter de savoir s’il s’agit d’une faute tragique ou d’un massacre intentionnel. Mais tout cela n’empêche pourtant pas de s’excuser. Dans cette faute, on continuera de déterminer le niveau de responsabilité des services de renseignement, de l’état-major général, de préciser quels sont les manques et les négligences du gouvernement. Et quoi qu’il en soit, il est ici question d’une sérieuse faute d’État, pour dire le moins.
Dans une situation où « l’État a tué ses propres citoyens », il est absurde de persister à ne pas vouloir s’excuser.
Bien évidemment, cette question des excuses peut être envisagée comme un signe de la profondeur et de la complexité de la question kurde...
Galip Ensarioğlu, le député AKP de Diyarbakir et ancien président de la chambre de commerce de la même ville, avait eu cette phrase : « Si le premier ministre Tayyip Erdoğan est élu président sans que cette question ne soit résolue, alors il connaîtra de sérieux problèmes. »
Les élections de juin 2011 au cours desquelles l’AKP a recueilli 50% des voix ont été une lueur d’espoir pour une solution à la question kurde ; elles ont été l’expression d’une volonté de changement de la part de la société (changement que l’on peut interpréter de bien des façons, en effet).
Mais après les élections, le gouvernement a décidé de tenter une autre stratégie. Et cette stratégie est avant tout une « stratégie de guerre... »
Les discours et les actes se sont automatisés, la dimension humaine est passée en arrière-plan et une atmosphère de politique « opérationnelle » a tout supplanté, aussi bien en ville que dans le maquis. La situation étant celle-ci, si l’attente d’une « ouverture à venir » (sur les questions kurde et démocratique) n’a pas complètement disparu des écrans, elle est sacrément passée au second plan.
Nous ne sommes témoins d’aucune avancée, d’aucune initiative comme le retour à une toponymie kurde [les noms de nombreuses localités kurdes ont été rebaptisées en turc, nde], la mise en place d’un enseignement et d’une éducation en langue kurde ou la reconnaissance d’une identité. La détermination de l’AKP sur le plan opérationnel n’évolue pas vers un traitement de la question kurde dans sa globalité ; elle n’est porteuse d’aucune initiative neuve.
En un sens, on pourrait dire que l’AKP ne semble pas motivé par la résolution du problème kurde.
Dans le journal Star, Ergun Babahan critique ce point-là et dit la chose suivante : « L’AKP, qui le premier a parlé d’ouverture démocratique, n’a jusqu’à ce jour pas jeté le moindre pas sérieux. D’un côté, on a un ministre de l’intérieur qui traque le terrorisme jusque dans les milieux artistiques, de l’autre, un vice premier ministre qui promet que l’on accordera tous les droits aux Kurdes. Et nous avons un gouvernement qui vacille entre ces deux positions.
Les initiatives à prendre, comme les attentes de la région sont connues.
Le fait que l’on n’ait pas même commencé de faire changer la toponymie pour la rendre à son expression kurde est un signe de cette absence de volonté. Au point où nous en sommes, le fait de ne pas assurer le moindre développement démocratique donne et donnera la possibilité au PKK de s’assurer le soutien du sud-est anatolien pour un avenir qu’on ne peut aujourd’hui pas prévoir.
On sait très bien qu’un peuple qui a conquis ses droits par la voie démocratique, n’est pas un peuple qui se sent attiré par la lutte armée.
A Uludere, on a tué des hommes par négligence ou intentionnellement, mais on a aussi tué le processus de démocratisation. »
Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser un parti qui, jusqu’à récemment, donnait une image un peu ambitieuse sur cette question, à se retrouver dans une telle situation malgré un score de 50 % ?
Les voix nationalistes
Le fait que le premier ministre Erdoğan ait dit qu’il pensait que le mandat de l’actuel président de la république, Abdullah Gül, est un mandat de 7 ans, peut être perçu comme la déclaration de sa candidature pour le poste en 2014. Sont-ce donc les voix nationalistes, dont il pense qu’elles seront déterminantes en 2014 lors de ces premières élections présidentielles au suffrage universel, qui inclinent le Premier ministre à adopter la préférence qui est la sienne actuellement sur la question kurde ?
Ou alors est-ce parce qu’on pense qu’après avoir « réglé » les questions de l’armée et de la magistrature, on est en mesure de mieux lutter contre le PKK et qu’on pourra ainsi mieux régler cette question par des opérations ?
Ou bien est-ce l’inexistence d’une opposition à sa hauteur qui pousse l’AKP à une telle inaction ?
On pourrait ajouter bien d’autres explications.
Nous recherchons un modèle de solution fondé sur l’évolution technologique des armes. Or, il n’en reste pas moins que notre culture politique ne progresse pas de façon aussi rapide que la technologie, qu’elle ne produit pas modèles de solution novateurs.
Et sur une telle base, des massacres deviennent inévitables qui bouleversent les équilibres sociaux.