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La Turquie, l’UE et les cavaliers de l’apocalypse

dimanche 24 juillet 2011, par Marillac

L’hydre d’un triple tsunami se précise à l’horizon ; celui d’une triple crise, financière, stratégique et climatique. Or, à l’échelle du monde, seule la fragile UE semble en mesure de résister et de tenir le rôle de pôle de stabilité ; si elle fait le choix de l’affirmation et de l’émergence. Les défis sont immenses, les responsabilités écrasantes et l’urgence accablante, d’autant que rôde une quatrième crise, interne.

Fini le luxe d’aborder les défis les uns après les autres. Les dangers sont là, appelant réponse et anticipation sur un laps de temps d’au maximum une décennie. Nous voici plus que jamais entrés dans le temps de l’urgence et du dilemme. Alternative impossible certes, mais alternative tout de même ou bien rançon de la liberté dans un monde où les contraintes sont telles que les choix se font rares.
L’UE jouit encore du privilège du dilemme : faire le choix, ou non, de décisions majeures qu’elle ne semblait en mesure de pouvoir faire accepter à l’opinion publique qu’à l’horizon de plusieurs décennies, et ce, les unes après les autres. Elle doit cependant s’avouer chanceuse ; d’autres n’ont pas ce luxe.

Trois crises majeures

a- Tsunami financier : les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été tirées. Face à l’atonie durable des croissances anémiées, les (dé)régulateurs bancaires et financiers jouent de la planche à billets (États-Unis) ou de la bulle immobilière (Chine). Ces montagnes de dettes n’accouchent que d’une souris de croissance qui, débarquée dans le magasin de porcelaine de l’économie globale, rend l’ensemble particulièrement instable. La question n’est quasiment plus de savoir si mais quand se déclenchera l’effondrement de la Chinamérique qui emportera avec elle l’ensemble de l’économie mondiale dans une crise d’une ampleur inédite : aujourd’hui, demain ou en 2015 ?

Sur la base de fondamentaux plus sains et d’un marché commun intégré, l’UE est dotée d’une certaine résilience à ce tsunami ; à condition qu’elle fasse :

- le choix du fédéralisme budgétaire et monétaire (mutualisation d’un partie des dettes des états-membres ; élaboration d’un embryon de fiscalité communautaire allégeant d’autant les budgets nationaux)

- puis celui de la régulation financière (dissociation des activités de banques de dépôt et de banques d’affaires ; boycott coordonné des institutions travaillant depuis les paradis fiscaux ; interdiction de certains instruments de spéculation)

Sur ces bases bien moins irréelles aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a deux ans encore, l’UE serait capable de se protéger tant bien que mal de la crise à venir et de convaincre ses opinions publiques de son utilité, si ce n’est de sa légitimité. En outre, elle pourrait, au niveau global, émerger comme un véritable pôle de stabilité, doté d’une monnaie stable dont le poids devrait s’accroître dans les réserves de devises.

b- Tsunami stratégique : l’effondrement de la Chinamérique fera aussitôt monter la cote d’alerte en Mer de Chine. Une Chine affaiblie peut chercher à masquer et dévier ses contradictions internes, sociales et politiques, vers des tensions, voire des conflits externes (Taïwan).

Si l’attention stratégique du monde entier se braque sur les rivages de la Mer de Chine, le voisinage immédiat de l’Europe se retrouve livré à lui-même. L’UE ne pourra plus ne pas s’y impliquer : en cas d’effondrement de la Chinamérique, elle ne pourra plus se cacher derrière le faux masque d’une Alliance atlantique pour laquelle les États-Unis n’accepteront plus de contribuer à fonds perdus (il faudra tirer les leçons de la crise libyenne).
L’UE devra donc prendre ses responsabilités. D’autant plus que son voisinage stratégique le plus déterminant – Caucase, Moyen-Orient et Méditerranée – correspond à la zone du globe où risquent de se jouer « les guerres de la rareté » sur la question énergétique notamment. Si l’UE ne s’impose pas comme le garant de la stabilité dans et avec cette région, elle perd la main et se met en danger.

Pour cela encore, le temps est compté. L’UE doit au plus vite imaginer la voie d’un véritable partenariat stratégique avec l’Iran dans le triple but de :

- stabiliser la région : Caucase, Irak, Syrie, Liban, Palestine - Israël

- diversifier et pérenniser les approvisionnements en hydrocarbures [moins pour s’en arroger le privilège exclusif que pour se faire l’arbitre d’une éventuelle « guerre de la rareté », et ne permettre à quiconque de déstabiliser la région dans le but de s’octroyer un accès plus aisé aux ressources énergétiques]

- éradiquer immédiatement le risque de prolifération nucléaire lié à une éventuelle bombe iranienne : le partenariat euro-iranien devrait d’ailleurs s’amorcer sur la problématique du renoncement iranien à la bombe. Renoncement, oui, mais à quel prix ? Que doit proposer l’Europe ? [La problématique démocratique doit également rester une priorité : la baisse des prix de l’énergie suite à une crise financière et économique majeure, peut précipiter la chute du régime Pasdaran]

Pour cela, impossible de court-circuiter Ankara, ni même d’attendre le terme du processus d’adhésion turque à l’UE, sur laquelle la vision sarkozienne de l’histoire nous a au moins fait perdre dix ans...

La proposition de partenariat avec Téhéran doit émaner d’une démarche conjointe, à la fois turque et européenne. Cela nécessite au plus vite :

- la mise en place d’un protocole de relance sérieuse des négociations d’adhésion de la Turquie

- l’association organique de la Turquie à la politique extérieure de l’UE ; Lady Ashton devrait avoir une idée sur la manière du comment, shouldn’t she ?

- le maintien des bonnes grâces d’une Russie que la baisse des prix des hydrocarbures consécutive au tsunami financier risque de rendre plus ouverte à une perspective européenne.

Pôle de stabilité économique, l’UE confirmerait là l’émergence, aujourd’hui à peine visible, d’un nouvel espace stratégique courant de Reykjavík à Téhéran, et de l’Arctique au cœur de l’Eurasie. L’habit est grand, l’UE est appelée à prendre du poids.

c- Tsunami climatique : là encore, face à l’effondrement de la Chinamérique, l’UE se retrouve seule sur le front d’une crise qui pourrait s’avérer être la plus grave de toutes (avec des conséquences biologiques, économiques et stratégiques majeures).

Elle disposera seule :

- des moyens financiers de lancer la conversion écologique de l’économie

- des moyens stratégiques de gérer la sortie progressive de l’économie carbone [ainsi que du nucléaire : difficile de convaincre l’Iran, et la Turquie, de renoncer au nucléaire sans y renoncer soi-même]

- de la volonté morale et politique de montrer l’exemple et d’inciter le reste du monde à s’en inspirer.

Pour se montrer à la hauteur face à cette crise majeure, l’UE doit avoir su répondre aux deux précédents défis.

Rêve ou cauchemar ? Des crises majeures se profilent sur un horizon proche. La seule voie de recours à la dislocation économique, politique et stratégique du monde globalisé est l’improbable attelage de l’UE. Improbable certes, insuffisant sans doute, mais le seul dont les promesses, prises au sérieux, semblent à même de répondre de façon cohérente à l’hydre du triple krach.
Première économie mondiale, premier réseau diplomatique global, première expérience sérieuse de démocratie transnationale, l’UE dispose d’atouts considérables. Ne lui manque que la confiance.
La confiance et l’audace de s’affronter au dernier tsunami, le tsunami interne de la nécessaire réaction conservatrice à ces mutations profondes. Parce que l’UE ne pourra pas se construire sans tordre aussi le cou à l’hydre populo-conservatrice qui se rit et se pourlèche déjà les babines à l’idée des autres crises.

Un quatrième tsunami et voici venu le temps des cavaliers d’une apocalypse que l’étymologie tient aussi pour le moment de vérité. Ah 2012, quand tu nous tiens !

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