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Question kurde : L’ombre de la solution ethnique

dimanche 19 août 2012, par Baskın Oran

Notre jeune ami Burak est chargé de cours à l’Université en Allemagne ; il envoie un mail : « Alors que nous parlons de citoyenneté constitutionnelle et de droits individuels, les Kurdes parlent maintenant de tout autre chose. » Il fait référence à l’entretien accordé par Imam Tasçier, le président de l’Association kurde démocratique et révolutionnaire (DDKD), à Nese Düzel du journal Taraf dans son édition du 6 août dernier.

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Femmes kurdes arborant les couleurs du drapeau « national »

En parlant très ouvertement, Taşçıer tente de nous ouvrir les yeux. Il dit la chose suivante : « Tout comme les Turcs, les Kurdes doivent pouvoir se diriger eux-mêmes. La prise de décision ne doit désormais plus se faire depuis Ankara. Il doit y avoir un parlement du Kurdistan. Dans la région [du sud-est anatolien, majoritairement kurde, NdT], le kurde doit devenir la seconde langue officielle ainsi que la langue d’enseignement. Comme il existe une Union des Médecins turcs, il doit exister une Union des médecins kurdes. On doit pouvoir ouvrir des partis portant le nom de Kurdistan. L’organisation actuelle du nord de l’Irak est la plus adaptée pour la Turquie et pour les Kurdes. »

Le territoire ou bien l’ethnie ?

Neşe Düzel pose la question suivante : « Le modèle retenu dans le nord de l’Irak est celui de la solution ethnique. Quant à ligne du PKK-BDP [Kurdes de Turquie, NdT], celle de l’autonomie démocratique, elle a une base territoriale. Etes-vous contre cette notion d’autonomie démocratique ? » Réponse : « Alors que l’on vit les évolutions que l’on sait en Irak et en Syrie, il n’est pas possible de régler le problème en Turquie avec ce que le BDP et le PKK proposent comme « République démocratique ». Ce genre d’autonomie ne répond pas aux aspirations des Kurdes. Sous les Ottomans, les Kurdes ont vécu de façon mi autonome, mi fédérale. »

Nous reviendrons aux exemples étrangers mais avant cela, quand tu dis « Nous étions ainsi sous les Ottomans », tu copies bien évidemment l’AKP qui évacue la question d’un coup de cuiller à pot en rappelant que « sur la base de l’Islam, les Kurdes et les Turcs forment une unité. »

Bien évidemment, Nese Düzel ne lâche pas le morceau : « Envisager la solution dans une structure nationale, est-ce être en adéquation avec ce vers quoi le monde se dirige ? » Traduction : « N’êtes-vous pas en train d’aller dans un sens quand le monde va dans l’autre, et ainsi de faire un retour vers le concept d’Etat-nation ? » Enfin, si elle oubliait un instant qu’elle est journaliste, elle compléterait ainsi sa question : « En disant Etat-nation, je parle d’un type d’Etat qui considère la nation comme une unité ethnoreligieuse et qui fait de l’assimilation et/ou du nettoyage ethnique son seul principe ». Parce qu’à dire vrai, ce dont fait preuve Tasçier c’est du nationalisme le plus authentique ; et ce à quoi il aspire n’est rien d’autre qu’un Etat-nation kurde dans la forme la plus authentique qui soit. Sur le même modèle que cet Etat-nation turc présenté comme une table d’hôte aux Kurdes depuis 90 ans.

L’Union des médecins « turcs »

Alors que nous nous efforçons de mettre à bas l’Etat-nation afin de sauver ce pays de la dictature ’turque’ qui le divise, Taşçıer réclame un Etat-nation et attention, à cette question fatale de Nese Düzel, il donne une réponse tout à fait édifiante : « Il faut que les Kurdes goûtent au plaisir de se diriger eux-mêmes. Tant que les Kurdes n’auront pas goûté à cela, aucune solution ne sera réaliste. Une fois qu’ils auront goûté à l’autonomie de leurs décisions, on trouvera le chemin de la table des négociations et on parviendra à une solution. » Traduction : « Vous, les Turcs, vous nous avez appris cela, vous avez fait de nous ce que nous sommes. Tout comme le Turc est maître aujourd’hui, nous souhaitons nous aussi que les Kurdes soient des maîtres. Il nous faut avant toute chose une bonne dose de satisfaction. »

Nese Düzel insiste : « Dans une Turquie qui, par exemple, appliquerait le droit de l’UE, les Kurdes et les Turcs ne seraient-ils pas égaux ? » Taşçıer : « Cette égalité n’est possible que dans les démocraties très avancées. Parce que vous aurez beau changer toutes les lois que vous voulez, il faut changer les mentalités dans ce pays. Là où depuis un siècle ont été menées des politiques de déni et d’assimilation, le problème ne se résout pas d’une chiquenaude via le principe d’une égalité dans la citoyenneté. C’est la raison pour laquelle, il faut aux Kurdes une région aux limites bien tracées à l’intérieur de laquelle ils puissent se gérer aux-mêmes. »

Tu as bien entendu, mon ami, mon frère « turc », allez dis-moi maintenant, cette idée d’être « citoyen de Turquie » [Türkiyeli : de Turquie pour une citoyenneté territoriale ; contre Türk : turc, qui définit une citoyenneté ethnique et religieuse - NdT], c’était vraiment n’importe quoi, n’est-ce pas ? C’était trahir la patrie, non ? Un terme si artificiel qu’il était intraduisible ?
Et maintenant prends-toi l’authentique en pleine face, il te claque à la figure comme un galet, à toi de voir ce que tu vas faire. Non pas l’Union des médecins de Turquie, non, l’Union des médecins turcs, c’était bien cela mon cher ? Tiens, prends-toi donc une Union des médecins kurdes et tente de comprendre à présent. Taşçıer tend un tel miroir à la Turquie des Turcs qu’il en arrive à cela : « Le préfet te méprisera parce que tu es Kurde, le chef de la police te méprisera, mais là-bas avec leur préfet, leur propre chef de la police, les Kurdes se dirigeront eux-mêmes. »
Voilà donc pourquoi il parle tant de sa phrase : « Il faut que les Kurdes goûtent au plaisir de se diriger eux-mêmes. »

Autosatisfaction

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Un seul Etat, un seul drapeau, une seule langue, une seule nation, une seule patrie....

Comment faut-il qu’il le dise encore ? Ah mais dis-moi mon cher, n’est-ce pas toi qui les comprend le mieux ces paroles ? Est-ce qu’on n’écrit pas « La patrie d’abord » sur les rochers des montagnes ? Qu’on ne crie pas « Soit tu l’aimes, soit tu la quittes » ? Qu’on n’installe pas de grands portiques proclamant « Heureux celui qui se dit turc » à l’entrée et à la sortie des villes dans l’est du pays ? Qu’on ne plante pas partout d’immenses panneaux couverts de « Une seule langue, une seule ... » je ne sais quoi encore ? Et est-ce qu’on est pas vraiment contents de nous en faisant cela, non, c’est pas comme ça que ça marche, mon frère « turc » abhorrant le terme de ’Türkiyeli’, de citoyen de Turquie ?

Comme disait mon vieux père quand il ne voulait pas parler trop durement, que Dieu te pardonne. Tu le chercheras vraiment ce terme de Türkiyeli. Et tu le trouveras un peu difficilement désormais, parce qu’au contraire des anciens qui pensaient que toute solution se trouvait dans le cadre de la Turquie, la Turquie est en train de disparaître dans la tête des nouvelles générations kurdes. Elle est en train de s’effacer pour deux raisons : à la fois parce que, à l’intérieur, des formules comme « République turque = violence » et « Turc = Hanefi Sunnite Musulman Turc » la repoussent, et parce que, à l’extérieur, les exemples de l’Irak et de la Syrie du nord sont attirants. Tu les amuseras un peu difficilement maintenant ces gens avec des cours de kurde optionnels.

Au final, avec ton nationalisme ethnique turc, tu es parvenu à faire des Kurdes de Turquie des nationalistes kurdes aspirant à une solution ethnique, bravo, toutes mes félicitations à toi, mon frère « turc » !

- Note : Quand le commandant en chef de l’armée de terre déclare : « Je le connais ; c’est un bon garçon » à propos d’un sous-officier pris en flagrant délit de plasticage d’une librairie à Şemdinli, dans le sud-est du pays en novembre 2005 ; quand le Premier ministre défend un policier tortionnaire en prétendant ne pas vouloir le « donner en pâture » aux journalistes [en juillet, un chef de la police, connu pour faits de tortures et viols pendant le régime militaire est promu à une position importante à Istanbul – NdT] ; quand le ministre de l’Interieur déclare « qu’ il n’y a pas de différence entre un mortier [du PKK] et un article publié [défendant les droits des Kurdes] ; hé bien, à chaque fois j’ai honte d’être le citoyen d’un tel État. Allez mon cher, dis-moi que « celui qui a honte n’a qu’a foutre le camp », allez, dis-le moi !

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Sources

- Traduction pour TE : Marillac

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