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Turquie, UE, nucléaire ou les tabous français

mercredi 27 juin 2012, par Marillac

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Qu’on apprécie ou non Michel Rocard, force est de constater qu’il s’est fait, ces dernières années, une spécialité de la provocation, ou plus précisément de l’attaque frontale de certains des tabous français les plus solides.

Dernière prouesse en date, la mise en cause assez violente de la dissuasion nucléaire française, le 18 juin dernier sur le plateau de BFMTV : il faudrait, selon l’ancien Premier ministre, « supprimer » la force de dissuasion nucléaire française « qui nous coûte 16 milliards d’euros par an et ne sert absolument à rien. » Le ton est provocateur, l’utilisation des chiffres, contestable.

Tel est sans doute le prix à payer pour s’en prendre à un tabou, un angle mort du débat politique français, à une question dont on ne savait même pas qu’elle pouvait se poser.
Car le plus intéressant dans cette affaire reste, au-delà de la sortie de Michel Rocard, la réponse unanime ou quasi unanime, de la classe politique française qui, comme un seul homme, est montée au créneau pour défendre le legs républicain et gaulliste.

Et pourtant les lignes bougent. Le 14 octobre 2009, Michel Rocard signait un texte dans Le Monde intitulé « Pour un désarmement nucléaire mondial, seule réponse à la prolifération anarchique". Parmi ses cosignataires, figuraient Alain Richard, le général Bernard Norlain ainsi qu’Alain Juppé...

Il y a quelques années encore, Michel Rocard prenait l’ensemble de la classe politique et médiatique française à contre-pied en publiant un petit livre intitulé « Oui à la Turquie  », en mettant ainsi les pieds dans le plat d’un autre tabou de la France bien-pensante et ’universaliste’.

Quoi qu’on puisse penser des questions que soulève Michel Rocard, on se souviendra un jour de ce qu’il eut le courage et la sagacité de poser des questions qu’on aurait préféré ne pas poser.

Mais sans doute faut-il aussi aller au-delà de la seule provocation pour lancer le débat et ébrécher un peu plus le tabou une fois qu’il a été brisé.
Car au-delà de la proclamation crue de l’inutilité de la dissuasion nucléaire, il semble nécessaire de tenter d’en penser, en imaginer une, moins inutile ; seul moyen de donner quelque consistance à une pensée stratégique alternative à la pensée gaulliste établie à la fin des années 1950. Bref, non à la dissuasion nucléaire, mais oui à quoi ?

Et subtil clin d’oeil, le ressort du débat pourrait très bien passer par les ponts qui relient secrètement les deux débats tabous susmentionnés.

Pour aller vite, voici à gros traits, quelques lignes, quelques pistes pour une nouvelle pensée stratégique :

- Un nouvel espace stratégique : défis énergétique, climatique, politique et diplomatique, migratoire, militaires ; les nouveaux risques auxquels sont et seront confrontés les États européens se situent sur une ligne courant de l’Arctique au Golfe Persique [avec un prolongement méditerranéen]. Un espace dépassant, et de loin, les seuls espaces nationaux.

- Une nouvelle dimension stratégique : il faut donc penser de toute urgence la mutualisation de l’espace et de la doctrine stratégiques européens.
Double avantage de ce nouvel horizon, il permet d’appréhender au mieux les risques stratégiques de demain, ainsi que de se donner un accès au monde de demain dont le barycentre se déplace vers l’Asie.

- De nouveaux moyens :

  • Une identité stratégique européenne, un siège unique de l’UE au Conseil de Sécurité des Nations-Unies.
  • Prendre pied au Moyen-Orient et stabiliser puissamment la région en :

*intégrant la Turquie (tabou N°2) dans l’Europe stratégique puis, à terme, dans l’UE.

*imaginant et négociant un partenariat hyper privilégié avec l’Iran sur la double base, à terme, de la dénucléarisation (tabou N°1) et de la démocratisation.

*ancrant solidement la Russie à l’Ouest en la privant de ses pouvoirs de nuisance au Caucase et au Moyen-Orient [Encourager la Turquie à régler les questions kurde puis arménienne en assurant sa perspective d’intégration européenne]

La doctrine de dissuasion nucléaire française empêchera-t-elle le risque de nucléarisation du Moyen-Orient ? En soi, non, elle n’écarte pas ce risque ; et restera nécessaire tant que ce risque ne sera pas écarté. Écarter durablement ce risque peut néanmoins valoir à l’UE la formulation d’une politique puis d’une doctrine stratégiques pour lesquelles le refus de la dissuasion nucléaire constitue un fondement.

Au-delà de la saillie de Michel Rocard, le débat s’instaurera-t-il sur la réalité et la nécessité d’un autre horizon stratégique ? Strictement élu sur une base nationale, le personnel politique européen peut-il se permettre de telles audaces ? Enfin, la France finira-t-elle par relever le gant du défi fédéral européen que ne cesse de lui jeter l’Allemagne ?

Ou bien le fédéralisme serait-il un autre tabou français ?

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