Le gouvernement turc est-il en train de relancer de façon significative la recherche d’une solution politique à la question kurde ? La semaine dernière, le vice-premier ministre, Cemil Çiçek et le ministre de la justice, Sadullah Ergin ont rencontré des dirigeants kurdes du parti parlementaire BDP, réputés pourtant proches du PKK, en particulier Selahattin Demirtaş, qui, à l’issue de cette réunion, a évoqué l’existence d’une « atmosphère positive ». Au cours du week-end, le premier ministre, tout en réitérant sa volonté de ne pas négocier avec une organisation terroriste, a néanmoins affirmé son désir de débarrasser la Turquie « des problèmes qui la gangrènent », en particulier la question kurde, tandis que le président de la République, Abdullah Gül, de retour de New York où il a participé à l’Assemblée générale de l’ONU (cf. notre édition du 23 septembre 2010), tenait des propos similaires.
Mais ce sont surtout deux autres événements, le déplacement du ministre turc de l’intérieur, Beşir Atalay, à Erbil, le 26 septembre 2010 (photo), et la visite, le lendemain, d’Aysel Tuğluk à Abdullah Öcalan, dans sa prison de l’île d’Imralı, qui ont relancé l’espoir d’un règlement politique de la question kurde. À l’occasion d’une rencontre avec le président de la région kurde du nord Irak, Massoud Barzani, le ministre turc de l’Intérieur a demandé à celui-ci de faire pression sur le PKK pour que le cessez-le-feu qu’il a déclaré unilatéralement avant le référendum du 12 septembre et prolongé depuis, soit pérennisé. Le leader kurde irakien a demandé au gouvernement turc de ne pas sous-estimer le boycott des électeurs kurdes,, lors du récent référendum en Turquie, mais il n’a pas fermé la porte à la discussion. Ainsi les deux hommes auraient évoqué un abandon par le PKK des montagnes de Kandil, où ils possèdent ses bases arrière, pour une zone plus éloignée de la frontière turque où les rebelles resteraient le temps qu’un accord définitif soit trouvé entre les deux parties. Quant à Aysel Tuğluk, l’ex-députée du DTP et avocate d’Abdullah Öcalan, elle est revenue très optimiste, à l’issue de son entrevue avec le leader du PKK, parce qu’il lui aurait confirmé que son mouvement ne souhaitait pas une solution par les armes, mais entendait trouver une issue politique au conflit.
Lancée en juillet 2009, l’ouverture démocratique du gouvernement de l’AKP pour résoudre politiquement la question kurde s’est enlisée à l’automne de la même année, le parlement ne proposant que des mesures décevantes, et la Cour constitutionnelle dissolvant le parti parlementaire kurde DTP. Par la suite, cet échec s’est confirmé avec les arrestations massives de responsables politiques kurdes et la reprise de la violence dans le sud-est de la Turquie.
Les résultats du référendum du 12 septembre dernier (cf. notre édition du 13 septembre 2010) semblent avoir changé la donne et ouvert une nouvelle opportunité à la solution politique de la question kurde. En effet, l’AKP et le parti kurde BDP sont apparus comme les deux grands bénéficiaires de ce scrutin. Le parti gouvernemental, que l’on disait incapable d’achever les chantiers qu’il avait ouverts et miné par l’usure du pouvoir, a été confirmé dans son statut de vecteur du changement, avec une majorité du « Oui », que la plupart des sondages n’avaient pas prévu. Le BDP, dont beaucoup pensaient que le mot d’ordre de boycott du référendum serait désavoué par son électorat, a finalement été suivi de façon significative par ses partisans. Le grand perdant de la consultation, en revanche, a été le parti nationaliste, MHP, qui après avoir dénoncé les contacts qu’auraient eus le gouvernement et le PKK, avait articulé toute sa campagne sur la peur d’un démantèlement du pays. Manifestement ce genre de discours ultra-nationaliste ne fonctionne plus, et ce constat donne sans doute au gouvernement une marge de manœuvre supplémentaire dans les initiatives qu’il peut prendre pour rechercher une solution à la question kurde.
Le plus encourageant dans le processus relancé ces derniers jours est qu’il semble que l’on veuille enfin ne pas éluder l’un des aspects majeurs du conflit : celui du devenir du PKK. Certes, le gouvernement continue à dire qu’il ne négociera pas avec un mouvement terroriste, mais il ne nie pas que des contacts existent avec ce dernier, et n’hésite pas à rencontrer officiellement les personnalités politiques kurdes qui apparaissent comme les plus proches du mouvement rebelle kurde. En bref, il est possible que l’on soit en train d’assister à la banalisation de l’idée qu’une relation minimale avec l’organisation d’Abdullah Öcalan est nécessaire, si l’on veut vraiment résoudre la question kurde. Un nouveau tabou serait ainsi en train de tomber, rejoignant la chute de celui qui voulait que les autorités turques n’aient aucune relation officielle avec le gouvernement kurde d’Irak du nord. Ce dernier tabou est d’ailleurs tombé de la même façon : d’abord par l’entretien de contacts officieux, puis par l’établissement, à partir de 2008, de relations officielles. Cet acquis permet aujourd’hui à Ankara d’avoir le soutien des Kurdes d’Irak du nord dans la recherche d’une solution. Il risque d’être précieux quand il s’agira de trouver une porte de sortie honorable pour l’organisation rebelle.
L’issue de la guerre civile larvée, qui ensanglante la Turquie depuis plus de 25 ans, est-elle pour autant aussi imminente qu’a pu le laisser entendre, Aysel Tuğluk, au retour d’Imralı, lundi dernier ? Échaudé par les effets provoqués sur l’opinion publique par l’accueil triomphal dont avait été l’objet, en octobre 2009, l’arrivée d’un « groupe de la paix » au poste frontière de Habur (cf. notre édition du 8 novembre 2009), le gouvernement paraît, cette fois, vouloir prendre le temps de la réflexion. Pourtant, l’esquisse d’une solution dans les prochains mois n’est pas à exclure, et ce d’autant plus qu’elle pourrait être à nouveau particulièrement bénéfique à l’AKP et au BDP, lors des prochaines législatives.