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Turquie-Italie : Le sixième Forum de dialogue italo-turc ou la confirmation d’une convergence stratégique.

mardi 1er décembre 2009, par Laura Pagliaroli

Le sixième Forum de dialogue italo-turc s’est déroulé, à Istanbul, les 18 et du 19 novembre 2009. Depuis six ans, les deux pays organisent ce genre d’événement annuel, afin de consolider la relation particulière qu’ils souhaitent entretenir, et dont ce Forum de dialogue est le principal instrument. Cette manifestation est en fait un lieu d’échange entre les sociétés civiles italienne et turque. Elle se tient alternativement à Rome et à Istanbul, à l’initiative d’ « Unicredit Group » (l’une de principales banques italiennes) et du ministère turc des affaires étrangères. Son ultime édition a marqué l’aboutissement d’une première phase de travaux, lancée l’année dernière à Rome. Elle a rassemblé, en effet, un groupe d’experts italiens et turcs, qui a travaillé, au cours des derniers mois, sur la question du dialogue culturel. Lors du dernier Forum, ces experts ont pu ainsi présenter une série de propositions communes.

Les séances de travail ont donné lieu à de nombreuses interventions. Les plus remarquées ont été celles de représentants politiques, comme les ministres italien et turc des affaires étrangères, Franco Frattini (à droite sur la photo) et Ahmet Davutoğlu (à gauche sur la photo), celle de la vice-présidente du Sénat italien, Emma Bonino, ou celle de Mme Nursuna Memecan, une députée de l’AKP qui est membre du comité pour l’égalité des hommes et des femmes et du sous-comité consacré aux violences contre les femmes de l’Assemblé Parlementaire du Conseil d’Europe (PACE). Des universitaires étaient aussi présents et se sont fait entendre, notamment Mme Yakın Ertük, professeur du département de sociologie à l’Université Technique du Moyen Orient d’Ankara, et membre de l’Institut de Recherche pour le Développement Sociale (UNRISD), M. Stefano Silvestri, Président de l’Institut d’Affaires Internationales, et M. Lucio Caracciolo, président de la Revue d’études géopolitiques « Limes ». Le coordonnateur de la rencontre était M. Giuseppe Scognamiglio, responsable des affaires internationales d’« Unicredit Group ».

Le thèmes débattus ont été variés : du statut des femmes à des initiatives culturelles (comme la récente exposition « Venise et Istanbul à l’époque ottomane » au Sakıp Sabancı Müzesi d’Istanbul), en passant par l’évocation des secteurs les plus porteurs pour les investissements. Ces derniers, toutefois, seront au cœur du sommet intergouvernemental, qui doit se tenir à Rome, en décembre prochain, et auquel doit participer le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, en personne. Cette nouvelle rencontre traitera principalement de la défense, de l’énergie ou des infrastructures, qui constituent des domaines essentiels pour la collaboration entre les deux pays, comme le montre, par exemple, la récente concession de la construction de l’autoroute Istanbul-Izmir, d’une valeur de 6 milliards de dollars, à l’entreprise italienne « Astaldi ».

Le Forum a aussi évoqué l’avenir de la candidature turque à l’UE. Citant la fameuse formule latine « Pacta sunt servanda » (les accords doivent être respectés), Ahmet Davutoğlu a rappelé de façon claire que sa position est de poursuivre les négociations en cours pour une adhésion complète de son pays, et qu’il est hostile au partenariat privilégié prôné par le couple franco-allemand. Les officiels italiens ont apporté, une fois de plus, leur soutien à la candidature turque, en estimant qu’elle faciliterait les relations de l’Europe avec le Caucase ou le Moyen-Orient. Franco Frattini a même voulu voir dans l’éventuelle adhésion de la Turquie un tournant historique qui serait aussi important que celui qu’a pu être la chute du mur de Berlin, il y a 20 ans. L’Italie continue donc à se ranger parmi les États européens qui soutiennent fermement l’adhésion d’Ankara à l’UE, dans un contexte où d’autres Etats insistent sur les « racines chrétiennes » de l’Europe, ce qui tend bien sûr à exclure la Turquie. On peut donc se demander ce qu’il y a derrière ce ferme soutien de Rome à la candidature d’Ankara ?

Certes, la relation turco-italienne n’est pas perturbée par la question de l’immigration, comme peut l’être la relation turco-allemande. De surcroît, Rome a moins à perdre que Berlin ou Paris d’une éventuelle adhésion de la Turquie, à laquelle sa population importante assurerait une forte représentation au parlement européen (la seconde après celle de l’Allemagne). On observe qu’en réalité, au sein des pays fondateurs, l’Italie se trouve dans une position stratégique particulière, par rapport à celle de la France, de l’Allemagne ou du Benelux. On se souvient que, comme ces pays, elle avait été un protagoniste actif du lancement du projet européen, dans les années 50, mais qu’elle s’est vue ensuite marginalisée par une croissance du poids politique allemand et français. À cela est venu s’ajouter dernièrement le lancement, par le nouveau président français, du projet d’« Union pour la Méditerranée », qui (indépendamment de l’opinion que l’on peut avoir de ses chances de réussite) révèle la forte volonté de la France d’exercer une influence dans une région, où elle avait été un peu en retrait au cours des dernières décennies.

En suivant ce raisonnement, on peut penser que, pour échapper à l’axe franco-allemand, l’ambition de l’Italie serait donc de développer un axe géostratégique européen sud-oriental, dans lequel elle pourrait jouer un rôle hégémonique grâce notamment à ce soutien politique appuyé à la candidature d’Ankara, et ce, en dépit même du fait qu’il existe une voix discordante de taille au sein de la coalition actuellement au pouvoir à Rome, puisque la Ligue du Nord (« Lega Norte ») s’oppose à l’idée d’une intégration européenne de la Turquie en des termes qui ont souvent recours à la xénophobie ou à l’islamophobie.

La Turquie, avec laquelle l’Italie développe des relations économiques durables, comme des coopérations dans les domaines culturels et sociaux, est aussi, avec la Russie, un partenaire, qui se situe au cœur des synergies énergétiques qui s’expriment actuellement au travers du « South Stream ». On sait que ce projet de gazoduc cherche à diversifier l’approvisionnement énergétique de l’UE, mais qu’il le fait à sa façon. Car, contrairement au projet européen rival « Nabucco » (qui n’a d’italien que le nom et qui vise à affranchir l’Europe de sa dépendance à l’égard de la Russie), il est le fruit d’une initiative bilatérale de Rome et de… Moscou. Cette initiative a permis à l’Italie de faire prévaloir ses intérêts nationaux sur une stratégie communautaire de l’énergie, en impliquant prioritairement la compagnie l’ENI et en obtenant un tracé qui verra le gazoduc en question partir de Russie pour aboutir en territoire italien.

En conclusion, on est amené à penser que le soutien que l’Italie témoigne actuellement à la candidature turque est loin d’être exempt d’arrière-pensées stratégiques. Le lancement du « Southstream » et le ralliement de la Turquie à ce projet, au moment même où Nabucco connaît un certain nombre de problèmes, confirment cette hypothèse, comme d’ailleurs les ambitions italiennes sur la scène européenne.

Laura Pagliaroli

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Sources

Source : Ovipot, le 30.11.09

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