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Turquie : fin de l’état de grâce pour le Premier ministre turc

mardi 25 novembre 2008, par Guillaume Perrier

Assiste-t-on à la fin de l’état de grâce du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan ? Bousculé par les critiques, M. Erdogan se raidit depuis quelques jours.

Il est arrivé au pouvoir comme Obama. Il est devenu comme Bush

« Il est arrivé au pouvoir comme Obama. Il est devenu comme Bush », a lancé Fehmi Koru, éditorialiste du journal pro-gouvernemental Yeni Safak, au cours d’un débat télévisé.

La formule, venue d’un habituel supporteur de la politique du parti au pouvoir, le parti de la justice et du développement (AKP), a fait mouche. « Ce que j’ai voulu dire, précise Fehmi Koru, c’est que Tayyip Erdogan, qui avait gagné les législatives en 2002, n’a pas pu être élu député avant 2003. L’Etat a multiplié les obstacles sur sa route, comme pour les Noirs aux Etats-Unis. Il est donc arrivé comme un Obama turc. Maintenant, il conduit parfois le style de politique que Bush a mené en Irak. Notamment sur la question kurde. »

Cette critique a rendu M. Erdogan furieux. Car Fehmi Koru est aussi l’ami d’enfance du président de la République Abdullah Gül, dont il est resté très proche, et cette petite phrase semble illustrer un profond désaccord entre les deux têtes de l’Etat, notamment sur la question kurde.

Au moment où le président lance un rapprochement diplomatique avec les Kurdes d’Irak, le premier ministre, lui, radicalise son discours, reprenant à son compte les habituels slogans nationalistes. « Nous disons : » une nation, un drapeau, une patrie et un Etat« . Ceux qui ne sont pas d’accord avec ça devraient partir », a-t-il lancé, le 3 novembre, à Hakkari, un fief kurde proche de la frontière irakienne. A mille lieues du discours historique qu’il avait prononcé en 2005, à Diyarbakir, reconnaissant l’existence d’un « problème kurde (qui) ne peut se résoudre que par plus de démocratie ».

Récemment, il s’est aussi illustré pour avoir pris la défense d’un forcené qui venait d’ouvrir le feu, en plein centre d’Istanbul, en direction d’un groupe de manifestants kurdes... Ce changement de ton a valu à M. Erdogan un accueil glacial lors de sa dernière tournée régionale dans le Sud-Est alors que son parti se prépare à une rude bataille pour les élections municipales, prévues en mars 2009. Le quotidien de gauche Taraf l’a même accusé d’être devenu « le premier ministre des généraux ».

« des penchants autoritaristes »

Comme à son habitude, M. Erdogan répond à ses détracteurs par le rapport de force. Début novembre, sept journalistes turcs se sont vus retirer leur accréditation par ses services, au motif qu’ils publiaient « des mensonges ». En 2007, représenté en chat empêtré dans une pelote de laine par un journal satirique, il avait fait condamner le caricaturiste à une lourde amende. Certains de ses anciens collaborateurs soulignent volontiers son penchant autoritaire pour expliquer ce virage. L’AKP est aux ordres depuis 2002 et ceux qui n’ont pas pris le pli ont été priés de prendre du recul.

« Il a une gestion très personnelle du pouvoir mais nous l’acceptons comme il est », hésite Yasar Yakis, député et membre de la commission des affaires européennes. « Au cours du premier mandat, il formait un duo avec Gül, qui est un peu plus âgé que lui et qui a toujours essayé de le tempérer, témoigne Mehmet Dülger, ancien député AKP qui a quitté le mouvement en 2007. Erdogan est bouillant, il a peu de patience, il veut toujours avoir le dernier mot et il a cet air de donner des sermons. Il fait des bêtises parce qu’il dit ce qu’il pense. Mais aussi ce qu’il ne pense pas. » Son parler des faubourgs d’Istanbul et ses manières parfois rustres bousculent souvent les usages du milieu politique. « En Turquie, cela plaît à un certain nombre de gens qui ont besoin d’un berger, quitte à ce qu’il les mène à l’abattoir », ajoute Mehmet Dülger.

Le triomphe électoral de l’AKP, en juillet 2007, a renforcé le premier ministre et son emprise sur le parti au pouvoir. Et la décision de la Cour constitutionnelle, cet été, de ne pas dissoudre le parti, n’a pas provoqué l’électrochoc espéré. Selon certains analystes, un compromis pourrait même avoir été trouvé avec l’armée.

Depuis cette élection, le gouvernement a fait peu de concessions sur les réformes à mener dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union européenne, achevant de décourager les intellectuels libéraux qui, jusqu’alors, soutenaient son action. « J’avais critiqué son manque de sincérité au moment de la réforme de l’article 301 du code pénal (article qui limitait la liberté d’expression en réprimant le »dénigrement de l’identité turque« ) », glisse Fehmi koru. La refonte de la Constitution et le sort des minorités kurdes ou alévis, par exemple, demeurent en suspens.

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Sources

Source : le Monde le 21 Novembre 2008

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