Delphine Nerbollier
Lundi le président iranien a été accueilli au sommet de l’Organisation de la Conférence islamique d’Istanbul. Snobés en partie par l’Europe, les Turcs sont hyperactifs au Moyen-Orient
Egemen Bagis, le ministre turc des Affaires européennes, dit en avoir assez de l’éternelle polémique autour de la place de la Turquie et de son soi-disant éloignement de l’Ouest. « Je suis fatigué de ce débat », confie-t-il. « La Turquie regarde vers l’Occident depuis des siècles. Elle est candidate à l’adhésion de l’UE, membre de l’OTAN et je suis fier de la voir comme un pont. Or pour servir efficacement ceux qui veulent le traverser, un pont doit avoir deux jambes solides. La Turquie est en train d’accroître sa force des deux côtés, et notamment à l’est. »
Partenariat avec la Syrie
A l’entendre, la polémique est donc sans fondement. Le « rapport de progrès » délivré en octobre par la Commission européenne est l’un des meilleurs de ces dernières années. Et même l’épineux dossier chypriote ne devrait pas engendrer de crise insurmontable en décembre.
Toutefois, depuis quelques semaines, c’est vers ses frontières orientales que la Turquie mène une politique hyperactive. En octobre, une dizaine de ministres turcs se sont rendus en Syrie pour lancer un partenariat stratégique avec Damas et officialiser la levée des visas entre les deux pays. Avec l’Irak aussi, les relations sentent bon la lune de miel depuis la signature d’une quarantaine d’accords. La région autonome kurde n’est pas laissée de côté puisque Ankara y a envoyé son chef de la diplomatie et annoncé l’ouverture prochaine d’un consulat à Erbil. Cette politique de bon voisinage porte aussi ses fruits avec l’Arménie. La ratification à venir des deux protocoles d’accord, signés à Zurich, devrait permettre l’ouverture de la frontière. Quant à l’Iran, les relations ont rarement été aussi bonnes. La Turquie a été l’un des premiers pays à féliciter Mahmoud Ahmadinejad pour sa réélection et elle l’a accueilli à deux reprises depuis. Le leader iranien était hier à Istanbul dans le cadre de la réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) où il s’est entretenu avec son homologue Abdullah Gul et avec le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier, reçu à Téhéran à la mi-octobre, avait accusé l’Occident de traiter les Iraniens de manière « injuste » sur la question nucléaire.
Cette position sur le dossier iranien sème le doute dans l’esprit des Européens. Ankara dit ne pas vouloir d’armes atomiques dans la région mais émet de très faibles critiques envers Téhéran. Officiellement, la Turquie veut jouer les médiateurs et aurait eu gain de cause si l’on en croit la proposition faite samedi par l’Agence internationale d’énergie atomique d’envoyer l’uranium enrichi iranien en Turquie. Une proposition toutefois rejetée par Téhéran.
Ces relations avec Téhéran inquiètent d’autant plus que les désaccords enflent entre Ankara et Tel-Aviv. Après son « coup de sang » à Davos, Recep Tayyip Erdogan a demandé à la communauté internationale de regarder de plus près le supposé arsenal nucléaire de l’Etat hébreu, avant d’annuler un exercice militaire auquel devait participer l’aviation israélienne. La relance de la médiation menée l’an dernier entre Israël et la Syrie est de plus en plus improbable. Ce week-end, Erdogan a même affirmé « être plus à l’aise » avec le leader soudanais Omar al-Bachir, accusé de crime contre l’humanité au Darfour, qu’avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Erdogan a ensuite mis en doute les accusations lancées contre Bachir. « Un leader musulman ne peut pas commettre de génocide », a-t-il déclaré, alors que le président soudanais renonçait à se rendre à la réunion de l’OCI à Istanbul. L’annonce de sa visite avait soulevé les foudres de l’UE.