La nuit de dimanche... Nous entendons les slogans depuis notre fenêtre…
A l’université, les jeunes internes qui sont dans des chambres voisines ont pris position les uns contre les autres. Ceux qui crient « à bas le PKK » reçoivent la réponse des autres : « vive la fraternité des peuples ! »
Les maisons. Le col des gens. Tous sont barrés de drapeaux ou de rubans noirs. Puis les sites Internet les plus populaires. Sur un site Internet les photos des membres ont laissé place aux drapeaux.
Il y a un air de mobilisation. Un nuage de colère, qui ne sait pas vers où aller, se balade sans savoir vers qui il va crever.
Le message d’un lecteur qui commence ainsi : « Vous êtes contre une opération au-delà de la frontière irakienne. Nous savons que vous ne plaidez pas pour cela en soutenant les USA, mais... », résume très bien la psychologie actuelle : « Nous sommes à bout de nerfs.. Nous avons perdu notre bon sens. Même si nous savons que la vengeance est aveugle, nous avons accepté l’ignorance. Si on ne fait pas cette opération au delà de la frontière, ne voyez-vous pas que cette colère va dévier vers d’innocents citoyens Kurdes ? »
Nous nous en rendons compte.
Et nous avons peur de ça.
Nous avons peur que, au moment où ils ne pourront pas s’entendre sur le PKK, Barzani (Président de la région kurde autonome d’Irak) ou les USA, l’explosion d’un sentiment, qui a une cible confuse (ambiguë ou obscure), d’une colère aveugle, visera les innocents les plus proches, les voisins qui appartiennent à une « ethnie » différente, les amis qui dorment dans le même dortoir. Nous avons peur aussi que certains profitant de cette ambiance règlent alors leurs comptes politiques.
Nous nous inquiétons de ce que cette bagarre, que le PKK suivra en se frottant les mains, puisse entraîner d’abord une querelle fratricide puis conduire ensuite à une système autoritaire où les droits démocratiques deviendraient un luxe.
Nous nous inquiétons de ce que la colère, qui ne peut pas frapper les assassins, frappe notre culture du « vivre-ensemble », notre détermination et notre volonté.
Ce qui est le plus inquiétant c’est qu’il est si facile de dresser les gens les uns contre les autres en Turquie.
Si facile de sacrifier le ciment qui tient ensemble les gens, les relations séculaires, les associations géographiques et humaines.
Ne pas demander d’adresse aux couteaux quand ils s’appuient sur l’os, aux balles quand elles sortent des canons…
Notre tissu social, comme le bras sous l’effet de piqûres répétées après de multiples tentatives pour trouver la veine, gonfle et bleuit tel un gros hématome.
Nul ne doit croire qu’il peut produire une solution avec le sang coulé. Nul ne doit oublier qu’en cas de « guerre turco-kurde », c’est toute la Turquie qui en sortira perdante.
Il ne faut pas se sortir de la tête que l’objectif est de gagner le peuple de cette région contre la violence du PKK.
Que notre colère n’atteigne pas notre fraternité.