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Mais de quelle guerre s’agit-il donc ?

mardi 30 janvier 2007, par Marillac, Murat Belge


© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction
© Radikal, le 23/01/2007

Il y a peu je me suis rendu à Adana dans le cadre d’une conférence à l’Université. Une fois mon intervention terminée, un homme de l’assistance, apparemment l’un des cadres de la faculté de médecine s’est levé et sous prétexte d’une question s’est lancé dans une attaque violente de ma position concernant le génocide arménien. J’ai répondu et d’autres questions ont suivi. Lorsque nous avons mis fin à la discussion et que nous sommes sortis, nous avons appris la nouvelle de l’assassinat de Hrant Dink.

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Crédits Photo : Baskin Oran

C’est dire, que quasiment en même temps, « l’ami » diplômé - ou non - du BEPC de cet enseignant de la faculté de médecine exprimait, pistolet à la main, à peu près les mêmes sentiments, reflet d’une semblable mentalité.
Avec Hrant nous étions amis depuis des années. Il avait 11 ans de moins que moi mais je n’ai jamais pu en tirer quelque autorité que ce soit.
Je ne veux aujourd’hui rien dire de ces sentiments et de cette douleur que m’inflige sa mort. Et la raison qui me pousse à vouloir évoquer la maturité de Hrant, c’est de pouvoir expliquer combien il était un homme qui s’était formé de lui-même. Il avait appris à être un homme sincère, à prendre en compte les pensées d’un homme honnête, à en connaître les sentiments. Il était rationaliste mais dans le même temps très sentimental. Il était issu d’un contexte qui ne permettait pas à un homme de vivre authentiquement un autre sentiment que celui de la haine. Il a mené sa vie individuelle de manques en privations ; mais il l’a surtout fondée sur un socle de sang et de haine, sur cette conscience collective si déterminante. Et au milieu de tout cela, Hrant Dink a réussi à s’élever comme un monument d’amour. La terre qu’il avait alors choisi de fouler ne respirait pas la revanche mais l’empathie.
Ce qui a été assassiné ici, c’est bien ce miracle. Je ne vise pas ici le seul sicaire ou les commanditaires qui l’ont mis en route avec pour seuls viatiques une arme et leurs plus « saints » encouragements au combat. Non. Je vise aussi tous ces marionnettistes, tous ces tire-ficelles qui décidèrent un jour de ce que devait être l’idéologie de la jeunesse turque pour les 50 ans à venir.
Mais tous ceux-ci ne sont pas en mesure de détruire l’amour.

L’Humanité, la barbarie...

Leur premier objectif est bien celui-ci. Mais il est hors d’atteinte.
Ils ne seront jamais en mesure de détruire des choses comme l’amitié, l’éthique ou la beauté. Et de rage, ils s’en prennent à des hommes comme Hrant qui, sont à même parer leurs vies, avec enthousiasme, de tous les symboles de ces choses.
D’un côté Hrant… c’était toute une vie construite sur le respect mutuel, l’amour et la compréhension ; c’était un homme qui avait fait pousser sa vie comme on magnifie une fleur. De l’autre, c’est encore l’acte d’un pitoyable miséreux se vantant d’avoir tiré sans hésitation.
Comme je l’ai dit plus haut, nous étions amis. Nous nous sommes souvent retrouvés sur des projets communs mais notre amitié ne se limitait pas au travail. J’ai aussi pu voir quel amour lui vouait tout son entourage. Tous ceux qui le connaissaient, de près, de loin mais au final tout le monde. Et c’est avec sa mort que je me suis rendu compte de la façon dont même des gens qui ne le connaissaient pas pouvaient l’apprécier.
Cela a commencé à Adana. Tous ces gens que j’ai rencontrés à cette occasion connaissaient Hrant de par ses écrits, de par ses discours mais ne l’avaient jamais rencontré en personne. Et malgré cela, j’ai pu être témoin de leur véritable et profonde affliction.
En cela, nos souffrances ne différaient guère.
Et contre tout ce qui a rapproché tous ces gens, la haine et l’inimitié constituent le socle de ce qui soude ceux qui nous font face.
C’est la raison pour laquelle nous sortons aujourd’hui du strict cadre de la lutte pour la démocratie. L’Humanité, la morale, qu’est-ce à dire ? Notre combat leur est désormais tout entier consacré.

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