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L’Europe, cheval de droit

jeudi 9 juin 2005, par Benjamin Bibas

Fluctuat.net

Turquie : la 28e étoile ?

Au lendemain des Non français et néerlandais au Traité établissant une Constitution pour l’Europe, il peut paraître hasardeux de spéculer sur le sort d’un nouvel élargissement de l’UE. Paru à l’hiver, le dernier numéro de la revue Confluences Méditerranée fournit pourtant un plaidoyer en faveur de l’adhésion de la Turquie, qui garde toute son actualité aujourd’hui.

La Turquie est-elle « euro-compatible » ? Telle est l’interrogation à laquelle se livre, avec un a priori franchement positif (*), la dernière livraison de la revue Confluences Méditerranée. Toujours aussi sérieuse dans ses analyses, mais étrennant avec ce numéro une nouvelle maquette plus attractive (dessin de Plantu en couverture, édition du texte aérée...), la publication réunit une fois de plus un éventail de plumes hétéroclites, allant de l’ancien commissaire européen Chris Patten au prédicateur musulman Tariq Ramadan, en passant par l’écrivain controversé Renaud Camus ou le politicien éternel Michel Rocard, pour cerner de toutes parts une question d’actualité brûlante... mais à présent un peu décalée depuis la victoire du Non aux référendums français et néerlandais sur la Constitution européenne. Car si le Conseil européen s’est enfin décidé à ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie en décembre 2004, plus de quarante ans après le premier accord d’association datant de 1963, on peine désormais à saisir l’enjeu concret du processus : soit la Turquie intègre effectivement l’UE et l’impact politique sera faible, puisque l’Union est en passe d’abandonner un traité qui devait la doter d’une puissance diplomatique commune ; soit la candidature de la Turquie est rejetée, et alors cela n’aura guère d’importance économique puisque depuis 1996 ce pays est de toute façon lié à l’UE par une union douanière.

Euro-enthousiasme depuis 1839
Quelles sont les parties en jeu ? A ma gauche, l’Union européenne. 25 Etats et 450 millions d’habitants, unis par des règles de droit dont tout pays candidat est sommé de s’approcher en vertu des fameux critères dits « de Copenhague », du nom du sommet où ils ont vu le jour en 1993. A ma droite, la Turquie. 70 millions d’habitants (un peu moins que l’Allemagne, un peu plus que la France), une démocratie parlementaire placée sous le contrôle de l’armée (coups d’Etat militaires en 1960, 1972, 1980 et, dans une moindre mesure, en 1997), une minorité kurde historiquement opprimée, un appareil répressif toujours actif (692 plaintes pour torture au seul premier semestre 2004). Mais des progrès, très nets, surtout depuis l’accès au pouvoir, en novembre 2002, d’un parti islamiste parlementaire - l’AKP - dont on attendait tout sauf une politique aussi active de rapprochement avec l’Europe : abolition des « cours de sûreté de l’Etat » (tribunaux expéditifs), levée de l’état d’urgence au Kurdistan, abrogation du délit de « propagande contre l’unité indivisible de l’Etat »... Autant de gestes volontaristes recensés dans l’article de Sophie Bessis et Elin Wrzoncki, membres de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), et qui témoignent, sinon de « l’euro-compatibilité » de la Turquie actuelle, du moins de l’euro-enthousiasme de ses autorités. Une tendance qui ne s’est d’ailleurs jamais démentie depuis les tanzimat, premières réformes qu’un Empire ottoman déclinant s’infligea dès 1839 en puisant dans l’administration civile et militaire de plusieurs pays européens.

Pourtant, les velléités européennes de la Turquie suscitent la polémique. Aux observateurs les plus critiques du processus d’intégration en cours - le récent débat sur le TCE les a réveillés -, l’historien François Georgeon rappelle que les Ottomans partis d’Anatolie au XIIIe siècle conquirent les Balkans avant Constantinople (aujourd’hui Istanbul), que les réfugiés turcs fuyant l’Europe du sud-est devant l’avancée russe en 1877 se faisaient appeler « Turcs de l’intérieur », que Mustapha Kemal Atatürk donna en 1926 à la République turque moderne « un code civil inspiré du code civil suisse, un code pénal sur le modèle italien et un code de commerce issu de la législation française ». Cinq siècles de prédominance ottomane sur le sud-est européen, la turcité d’Istanbul qui fut durant un millénaire la capitale de l’Empire romain d’Orient, le ralliement systématique des élites turques contemporaines aux modèles politiques européens, ne suffisent pourtant pas à faire majoritairement considérer la Turquie comme un pays ancré en Europe. Ainsi Valéry Giscard d’Estaing explique-t-il, par exemple, que « 95 % de la population » turque « se situe hors d’Europe », que les Turcs sont dotés « d’une autre culture, d’un autre mode de vie », et que l’adhésion de la Turquie signifierait donc « la fin de l’Union européenne ».(**) Comment expliquer ce rejet a priori, si ce n’est par une islamophobie latente ?

Pont avancé de l’Europe en Asie centrale
De là, sans doute, la portée essentiellement symbolique, mais également juridique, de la question de l’intégration de la Turquie. Comme le rappelle opportunément Chris Patten, elle signifierait que l’Europe est enfin prête à quitter son complexe de supériorité et à s’adresser à son voisinage musulman d’égal à égal, en ne jugeant que des questions de droit. Une attitude qu’il est urgent d’adopter si l’Europe veut résorber le ressentiment des peuples arabes à l’égard de l’Occident, évidemment attisé par le récent conflit en Irak et par l’éternisation de l’occupation israélienne sur les territoires palestiniens. Dans un essai géopolitique court et stimulant, le politologue Didier Billion ajoute un argument décisif en faveur de l’adhésion de la Turquie à l’UE : sa parenté culturelle avec les républiques turcophones d’Asie centrale, sa proximité avec les républiques pétrolifères du Caucase, en bref le rôle de pont avancé qu’elle pourrait jouer dans des parties du monde énergétiquement stratégiques et d’où l’Union est actuellement absente, en tout cas très largement devancée par les Etats-Unis et la Russie. Toutefois, compte tenu de l’actualité électorale, inutile de rêver : il n’y aura jamais de politique étrangère européenne concertée... du moins pas avant vingt ans. Tout juste le temps pour la Turquie de remplir tout à fait les critères de Copenhague, de faire la preuve de sa capacité tout « européenne » à mettre en place définitivement, souhaitons-le, un Etat de droit.

Turquie : la 28e étoile ? un défi à relever
Sous la direction de Robert Bistolfi
Revue Confluences Méditerranée n°52, hiver 2004-2005
Editions L’Harmattan

(*) « La ligne éditoriale de ce numéro de Confluences Méditerranée s’inscrit dans la perspective d’une issue favorable de la négociation et d’une intégration réussie de la Turquie dans l’Union », plaide l’analyste Robert Bistolfi dès le préambule de la publication.
(**) Entretien au Monde, juillet 2002.

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