Par RAGIP DURAN (A Istanbul)
Le gouvernement issu du mouvement islamiste de Recep Tayyip Erdogan avait annoncé « une ouverture kurde » qui serait « une occasion historique » de mettre fin à la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) : la « sale guerre » a fait 35 000 morts en vingt-cinq ans. « La montagne accouche d’une souris », estime Cuneyt Ulsever, chroniqueur libéral du quotidien populaire Hürriyet, en analysant les débats qui se sont tenus au Parlement turc, les 10 et 13 novembre.
Taboue. C’était la première fois que la grande assemblée nationale débattait aussi ouvertement d’une question restée longtemps taboue. Mais la déception est palpable, aussi bien chez les Kurdes que dans la partie croissante de l’opinion turque estimant qu’il faut trouver une solution politique pour les droits des Kurdes - 12 millions de personne sur 71 millions citoyens. Les mesures finalement annoncées restent très limitées : autorisation pour les villes et villages kurdes de retrouver leur nom originel, levée de l’interdiction du kurde dans les activités politiques et création de commissions indépendantes pour prévenir les discriminations.
« Le PKK n’abandonnera pas la montagne parce qu’on annonce une commission sur les droits de l’homme ou que les détenus kurdes pourront utiliser leur langue maternelle en prison », ironise Murat Yetkin du quotidien Radikal (gauche libérale). « Ces mesures sont insuffisantes », a affirmé le DTP, la formation prokurde qui a une trentaine d’élus au Parlement. Trop timorées pour convaincre les rebelles, ces mesures déchaînent l’ire de l’opposition nationaliste et de la gauche souverainiste qui dénoncent les risques pour l’unité nationale : « Le gouvernement fait des concessions aux terroristes. »
Tournée. Cette levée de bouclier avait commencé depuis plusieurs semaines, le Premier ministre étant en difficulté au sein de son propre parti, l’AKP. Le 19 octobre, 6 militants du PKK installés en Irak du nord, « ambassadeurs de paix », s’étaient rendus aux autorités à la demande d’Abdullah Ocalan, le leader du groupe emprisonné depuis 1999. Ils avaient été accueillis triomphalement par les Kurdes. Nombre de Turcs furent scandalisés.
A l’AKP, on souligne la nécessité d’arrêter le bain de sang. « Nous ne voulons plus voir les cercueils de nos martyrs. Les mères de nos soldats, les mères des Kurdes ne doivent plus pleurer », a insisté le Premier ministre Erdogan. Mais son parti ne dispose pas de la majorité des deux tiers qui permettraient des changements constitutionnels. « Nous irons directement devant la nation expliquer en détail l’obligation de l’ouverture », a déclaré hier Bülent Arinc, vice-Premier ministre. Erdogan et plusieurs dirigeants de l’AKP préparent, de longues tournées en Anatolie pour convaincre l’opinion de la nécessité de ces réformes. L’universitaire Cengiz Aktar souligne : « C’est une gageure car l’AKP n’a toujours pas un projet démocratique global et la majorité de l’opinion publique n’est pas encore prête pour ces réformes sur la question kurde. »