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Du 119 au 911 : quel est le problème ?

vendredi 3 novembre 2006, par Murat Yetkin

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 25/10/2006

Après le fameux 69 de Baskın Oran, voici le correspondant de Radikal à Ankara, Murat Yetkin qui se lance à son tour dans des considérations sur les chiffres. Au programme, l’Europe et le monde qui ne savent toujours pas comment appréhender le 11 septembre et ses conséquences. Reste à savoir s’ils ont un jour vraiment su gérer la situation qui résulta de l’effondrement du mur de Berlin ?

La semaine dernière à Athènes lors d’un forum de la conférence pour l’Europe du Sud-Est de la Banque Européenne d’Investissement, le ministre des Affaires Etrangères slovène, Dimitrij Rupel était au nombre des participants. Prenant la parole à la suite de Olli Rehn, le Commissaire en charge de l’élargissement et de Ali Babacan, ministre et négociateur en chef pour la Turquie, il devait commencer son intervention par une analyse pour le moins intéressante.

Il avait fondé cette analyse sur un jeu de mots. L’action terroriste du 11 septembre 2001, la plus violente opération terroriste de l’histoire moderne a commencé, à la mode américaine de prendre le nom de 911 : 9 pour le mois de septembre et 11 pour le jour. Inversant cela, Rupel a défini ce que pouvait être le 119 : il symbolise en fait le 9 novembre 1989, le jour de la chute du mur de Berlin.

D’après le responsable slovène, l’Europe a relativement bien franchi le cap du 119. Il en veut pour preuve l’adhésion à l’UE en 2004 de dix nouveaux membres pour la plupart issus de l’ancien bloc de l’Est. Cependant, l’UE n’est pas encore parvenue à relever le défi du 911. C’est ce que prouve aujourd’hui la montée de l’islamophobie et de la xénophobie sur tout le continent. La conception qui va se généralisant et selon laquelle « nous ressortons de mondes différents », n’est pas non plus sans peser sur les négociations d’adhésion de la Turquie.

Il est également vrai que les Etats-Unis ne sont pas parvenus et ne parviennent toujours pas à faire face à cette guérilla globale lancée avec le 11 septembre, ni aux guerres qui ont suivi en Afghanistan puis en Irak, ni à l’Iran avec lequel la tension ne cesse de monter. L’UE, quant à elle, n’a été en mesure, ni de constituer une alternative crédible aux USA, ni même de s’unir.

Elle s’est à nouveau divisée entre les supporters des politiques américaines et leurs détracteurs.

Le fait que les populations musulmanes vivant en Europe depuis des années dans leurs propres ghettos se mettent tout d’un coup à « déranger » n’est pas sans lien avec cette atmosphère du 911. Et le « nous n’y sommes pas parvenus » du ministre slovène visait bien cette atmosphère d’inimitié et de polarisation croissante.
Jusque-là, tout va bien. Mais alors que la question nous brûle les lèvres, ne la poserons-nous donc pas ?

Du 9-11 vers le 11-9

En effet, la raison de l’impuissance de l’UE à prendre la mesure du 911 ne tiendrait-elle pas en fait à l’incapacité qui fut la sienne à pleinement appréhender les conséquences du 119 ?
C’est fort possible et il semble que cela soit l’une des explications.
L’UE a vu dans l’adhésion des peuples de l’Est et du Sud de l’Europe l’une des voies nécessaires pour assurer leur avenir alors que, avec la dissolution du Pacte de Varsovie, de l’URSS et de la Yougoslavie, la région sombrait dans un profond vide stratégique et politique.

Et c’est en 1993 à Copenhague que l’on définit les critères relatifs aux nouvelles adhésions de façon à faire adhérer ses pays au plus vite, tout en faisant simultanément la preuve d’une myopie politique prononcée. En 1999, sans véritable considération du bon respect des critères de Copenhague, les négociations ont commencé : elles se sont achevées en 2004. Or, ces pays, pour la plupart, n’avaient pas accompli un processus de négociations encore assez simple. Il était alors surtout question de diligence. Et d’erreurs.
On peut étayer cela d’un certain nombre de preuves. En Estonie, par exemple, la moitié de la population qui est Russe vit sans papiers d’identité alors que – sans même parler des droits des minorités – on leur dénie tout droit politique, au motif qu’une partie d’entre eux se sont installés ici sous contrôle et incitation soviétiques.

La République de Chypre compte encore comme la représentante légale des Turcs de l’île, alors qu’elle ne représente en fait que la population grecque et qu’elle est devenue le symbole du dernier différend frontalier en Europe et ce, bien qu’elle ait refusé par référendum un plan de réunification soutenu par l’UE.
Malgré cela, l’UE dresse chaque jour de nouvelles barricades sur le chemin d’une Turquie qui, si elle y prenait garde, pourrait peut-être lui garantir une sorte d’assurance sur l’avenir tout en lui permettant également de se refonder.

C’est dire combien en fait l’élargissement de 2004 n’a pas permis à l’UE de régler ses problèmes. Comme le reconnaissait M. Rupel, il a juste permis de se voiler encore un peu plus la face. Mais désormais, le tapis ne suffit plus à recouvrir la masse de saletés accumulées. Et les problèmes finissent par ressortir.

Pour le dire autrement, l’impuissance européenne à faire face aujourd’hui à cet affrontement entre civilisations, à cette polarisation, en reprenant l’expression de Rupel, l’incapacité de surmonter le 911, repose en dernier ressort sur l’incapacité en son temps d’appréhender les conséquences de l’effondrement du mur de Berlin et de la disparition de l’URSS.
Mais il est bien que, comme le démontre l’exemple de Rupel, les hommes politiques et les intellectuels européens soient en mesure de se poser ces questions. Qui sait, peut-être que nous aussi nous nous mettrons à débattre à cette occasion.

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