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« Avec Recep Erdogan, l’UE dispose d’un vrai interlocuteur »

mardi 24 juillet 2007, par Didier Billion, William Moray

par Didier Billion, chercheur spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)

Les élections législatives de dimanche 22 juillet ont mis fin à l’instabilité politique en Turquie et ont marqué le succès du Parti de la justice et du développement (AKP), issu de l’islamisme modéré. La décision de Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre sortant, de convoquer un scrutin anticipé avait été dictée par la désapprobation de sa politique par l’opposition laïque et l’armée. Peut-on craindre qu’avec une telle légitimité, celui-ci ne s’en prenne au caractère laïc de l’Etat turc ?

- Non, ce n’est pas à mes yeux le danger principal.
Certes, il doit s’exercer un devoir de vigilance des démocrates en Turquie, comme ailleurs du reste. Mais l’AKP disposait déjà de la majorité au sein de l’Assemblée sortante, et il n’y avait pas eu de tentatives en ce sens.

Aujourd’hui, le parti a obtenu un score plus important en pourcentage qu’en novembre 2002 (46,4 % des voix selon les dernières estimations), mais obtiendra un nombre égal ou même moindre, de députés. Ils ne sont donc pas en situation de faire passer par la force des textes remettant en cause la laïcité du pays. Mais, encore une fois, cela relève davantage à mes yeux d’une peur fantasmatique.

Par contre, on peut appréhender à terme une résurgence des conflits avec le « camp des laïcs » (en réalité très diversifié). Ce dernier avait réussi son blocage lors de la récente élection présidentielle, qui avait marqué l’échec du candidat AKP Abdullah Gül. Et ce à deux niveaux : par le biais d’une bataille parlementaire, et par le succès des manifestations en avril et mai dernier. Pour autant, les partis laïcs (CHP notamment) ont échoué aux élections, tandis que l’AKP a fait plus que ce que laissaient entendre les derniers sondages, à savoir 38 à 41 % des voix.

L’AKP dispose de deux alternatives : ou bien il fait un forcing, et tente d’imposer son candidat, qu’il plaise ou non aux autres partis représentés à l’Assemblée (le CHP, les nationalistes d’extrême droite du MHP, les indépendants, les députés pro-Kurdes …). Toutefois, l’AKP ne dispose pas de la majorité des 2/3 nécessaire pour élire le président de la République. Auquel cas, on se retrouvera donc dans la même situation qu’il y a trois mois.

Ou bien, le nouveau chef du gouvernement (Recep Erdogan selon toute vraisemblance) trouve un candidat de compromis. Ce qui est souhaitable et un signe d’intelligence politique. Or, Erdogan n’avait pas fait preuve de compromis en avril dernier ; j’ose espérer qu’il aura intégré l’erreur.

Existe-t-il d’autres raisons au succès de l’AKP ?

- Bien entendu. L’aspect économique est essentiel.

En 2001, la Turquie sombrait dans une sévère crise économique. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes modérés, l’inflation est retombée sous la barre des 10 %, tandis que la croissance est supérieure à 7% depuis trois ans. Même s’il ne faut pas sous-estimer les efforts consentis par les chefs d’entreprise, les salariés…

Paradoxalement, l’AKP s’est converti à un libéralisme économique complet, dont l’application a creusé les inégalités sociales et salariales. Toutefois, le parti contrôle la grande majorité des municipalités, et les aides sociales qui en découlent. Par conséquent, il a pu atténuer les effets de sa propre politique.

Un autre aspect fondamental est l’aspect politique. La période 2002-2004 s’est traduite par une accélération du processus de réformes démocratiques, mouvement lui-même initié par les prédécesseurs de l’AKP. Je pense au statut du Conseil national de sécurité, qui n’a plus qu’un rôle consultatif, dont le président est désormais un civil. Ou encore aux Kurdes : dans les textes, leurs droits culturels ont été ouverts (centres d’enseignement privés en langue kurde, libéralisation de la presse). Un bémol cependant, ce mouvement marque le pas depuis deux ans, tous les observateurs l’ont souligné. Qui plus est, les applications concrètes de ces avancées se font aussi attendre.

Ce sera à mon sens, l’une des grandes priorités du prochain gouvernement, relancer les réformes démocratiques.

Que peut-on espérer s’agissant des relations avec l’Europe ?

- Des trois grands partis qui figureront au Parlement, l’AKP est le seul à avoir mené une campagne véritablement pro-européenne.

Même s’il existe une amertume des Turcs vis-à-vis de l’Union Européenne (UE), leurs votes ne se sont pas portés vers des formations anti-européennes. C’est inespéré, au vu des relents de nationalisme qui prévalaient ces derniers mois. Les Européens ont intérêt à se montrer plus positifs vis-à-vis de la Turquie, car avec Recep Erdogan, nous disposons d’un vrai interlocuteur, le meilleur possible, qui veut aller jusqu’au bout.

D’autant que le CHP - parti souverainiste à mes yeux - et le MHP ont obtenu respectivement 20 % et 15 % des suffrages. Ils ne sont donc pas à négliger.

Propos recueillis par William Moray
(le lundi 23 juillet 2007)

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Sources

NouvelObs.com - 23/07/2007 - 17:53
Article original

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