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Société civile et engagement politique en Turquie.

L’association Amargi, son engagement pour les femmes, les transsexuels et toutes les minorités

samedi 14 juillet 2012, par Amargi, Sevil Budak

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Avec l’effondrement des régimes socialistes et la récente domination des modèles démocratiques occidentaux, après l’intervention militaire de 1980, le concept de société civile commença à être regardé en Turquie comme un outil pour éradiquer le totalitarisme d’état et promouvoir la démocratisation. De nombreuses organisations de société civile virent le jour pour fournir une protection contre l’étatisme autoritaire ou pour éliminer les pressions de l’État. Malgré la présence de plus de 60 000 organisations de société civile, le pays doit toujours faire face à des difficultés de démocratisation. Au moyen d’une série d’interviews Turquie Européenne (TE) souhaite vous présenter différents acteurs de la société civile à travers leurs valeurs, leurs activités mais aussi les difficultés auxquelles ils doivent faire face.

TE : Amargi est connue comme une association féministe défendant les droits de toutes les minorités. La philosophie et les buts de l’organisation sont reflétés par le nom AMARGI lui-même qui signifie « Retour à la mère » mais aussi « Liberté » en Sumérien. Dans quel sens Amargi est-elle différente des autres associations féministes et comment peut-on rejoindre ses rangs ?

Amargi {JPEG}Amargi  : Avant tout, dans l’association de solidarité de femmes qu’est Amargi, nous essayons de changer le système patriarcal et nous ne voulons recevoir aucun soutien financier, ou quel qu’il soit, de ceux que nous critiquons. Chez Amargi, nous ne nous focalisons pas sur un sujet, une idée unique du mouvement féministe ou sur des mouvements sociaux spécifiques. Un grand nombre de visions féministes différentes peuvent se retrouver dans notre association mais nous rejetons clairement les idées militaristes ,sexistes, homophobes, inégalitaires et nationalistes qui sont contraires à nos valeurs. A la base, Amargi est ouvert aux femmes et transsexuels mais à l’occasion de certains débats et événements comme les discussions sur le féminisme, les hommes sont aussi les bienvenus. Nous appliquons évidemment une discrimination positive pour l’adhésion à Amargi en réponse aux discriminations et persécutions dont les femmes sont l’objet.

TE : Quels sont vos actions principales et champs d’activités pour aider les femmes et les minorités et pour atteindre vos objectifs à long terme et parachever la mission que vous vous êtes donnée ?

Amargi : La mission d’Amargi est de défendre les droits de femmes et des LGBT dans le sens de pour construire un monde sans violence ni discrimination. Les membres d’Amargi sont de différentes religions, ethnies, orientations sexuelles et classes sociales. Parce que nous croyons que cette diversité est notre richesse, nous luttons pour vivre tous ensemble en paix et pour défendre les droits de toutes les minorités. Pour ces raisons, nous sommes fréquemment présents dans toutes les plateformes et comités en lien avec la violation des droits et la violence sexuelle. Par exemple, Amargi a pris part à la « Campagne Contre les Crimes envers les Femmes » en essayant de suivre, parmi d’autres, les affaires de viols et de meurtres de femmes. Par ce moyen, nous voulons faire pression sur les juges et exiger la justice pour ces affaires. L’association essaie aussi d’attirer l’attention du public et d’élever sa conscience des crimes envers les femmes. Dans le même sens, des plateformes « Stoppez la Violence » sont régulièrement tenues pour discuter d’amendement de la loi qui pourraient aider à protéger les familles et à éliminer la violence contre les femmes.

TE : Pour faire simple, Amargi est une structure ouverte qui défend l’égalité, les droits des femmes et des minorités à travers une approche multidisciplinaire sans hiérarchie et qui s’oppose au nationalisme et au militarisme. Qui est derrière Amargi et quelles sont les motivations principales de l’équipe permanente et des bénévoles ?

Amargi : Comme nous l’avons dit, Amargi est ouverte à toutes les femmes et tous les transsexuels. L’association est une organisation indépendante du gouvernement et des partis politiques parce qu’elle ne veut pas être liée au système qu’elle remet en question. Il n’y a pas non plus de leader et tous les membres sont responsables. Cela signifie que personne ne décide personne et que les missions sont réparties entre des groupes de travail. Des réunions d’organisation sont tenues toutes les deux semaines. Durant celles-ci la structure d’Amargi est débattue et les décisions sont prises par consensus. L’organisation horizontale d’Amargi permet d’éviter toute ambiguïté entre les membres.

TE : Amargi est indépendante des gouvernements et des partis politiques est essaie de créer des alternatives au patriarcat dominant et aux relations de pouvoir. Dans ces conditions comment l’association finance-t-elle ses activités ? Quels types de soutiens avez-vous pour financer et organiser vos actions ?

Amargi : Comme vous l’avez dit Amargi est indépendante et ne reçoit essentiellement que des dons d’individus et de fondations qui soutiennent ses actions. Mais les membres d’Amargi paient aussi des cotisations qui lui permettent d’être durable et de mener des actions sur le long terme.
TE : D’après votre expérience dans l’association, de quels soutiens supplémentaires auriez-vous besoin vous pour avoir plus d’impact et être plus efficaces dans la réalisation de vos objectifs et votre mission ? En d’autres termes quelles difficultés avez-vous à affronter ? Comment surpasser ces difficultés ?

Amargi : Bien qu’Amargi ait 50 ou 60 membres, seulement 25 d’entre eux sont réellement actifs car les autres sont des étudiants ou travaillent. Nous aurions besoin de suivre régulièrement certains colloques et plateformes mais parfois nous ne pouvons y assister faute de temps. Bien sûr nous avons aussi quelques soucis financiers. Par exemple, avant que nous emménagions dans nos nouveaux locaux, nous gérions une librairie féministe et un café, mais par manque de moyens nous avons dû les fermer. Si nous résolvions nos problèmes financiers rapidement nous pourrions rouvrir la librairie.

TE  : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de projets et d’évènements importants ?

Amargi : Il doit y avoir une modification de la constitution en Turquie. En tant qu’Amargi et d’un point de vue féministe, nous voulons prendre part aux discussions. Nous avons organisé plusieurs colloques pour construire un projet de constitution avec nos membres. Nous avons écrit notre propre texte et l’avons transmis au parlement à la fin de 2011 pour mettre en avant nos opinions et suggestions. Ensuite, le Collectif Féministe d’Istanbul (IFK) est une plateforme regroupant toutes les associations féministes et Amargi en fait partie. Cette plateforme tient des rencontres périodiques au sujet de ses campagnes. Par exemple l’IFK a fait campagne pendant deux ans sur les meurtres de femmes. Suite à cela, il y a eu récemment un changement de la Loi de Protection de la Famille et pour l’Élimination de la Violence envers les Femmes. Avant l’adoption de cet amendement, un groupe d’avocates féministes avaient rencontré la ministre concernée pour soumettre leurs propositions et commentaires sur l’amendement.

Une autre action : 21 femmes de différentes villes, dont trois issues d’Amargi sont allées à Roboski dans le district d’Uludere, un village où Amargi est présent. Uludere est un des arrondissements du département de Şırnak où 34 civils parmi lesquels 19 enfants ont été tués par les forces armées le 29 décembre 2011. Après l’incident, les autorités publiques ont affirmé que les villageois qui faisaient de la contrebande ont été abattus « accidentellement » car ils ont été pris pour des « terroristes ». Grâce à la présence de preuves, en l’occurrence d’images enregistrées lors de l’incident montrant qu’il ne s’agissait pas d’une « erreur opérationnelle », l’enquête a été prolongée.

Le 23 octobre 2011, il y a eu un séisme de magnitude 7,2 à Van. Il a couté la vie à beaucoup de gens et a fait beaucoup de sans abris du fait de l’effondrement d’un grand nombre de bâtiments. Il est devenu rapidement clair que les travaux de réorganisation consécutifs au sinistre ne répondaient pas aux besoins de la population et étaient inadaptés.
Ainsi un grand nombre d’ONG de tous horizons ont commencé à travailler dans la région pour satisfaire aux besoins de base et fournir un soutien psychologique et social. Bien que les conditions politiques et sociales soient défavorables, les opérations ont pu être menées à bien.
Dans ce cadre, les ONG de femmes ont aussi commencé à s’organiser pour fournir des soins contre les traumatismes et pour répondre aux besoins spécifiques des femmes. En particulier après une catastrophe naturelle, les responsabilités des femmes dans l’organisation de la vie sociale augmentent de façon significative d’autant plus que la région conserve un système patriarcal. Un groupe de féministes du Collectif Féministe d’Istanbul (IFK - la plateforme des groupes féministes) dans la volonté de travailler sur ce problème, a donc créé un réseau de communication nommé vanpurplesolidarity (Solidarité pourpre pour Van) pour coordonner les actions qui pouvaient être menées dans la région. Comme membre de l’IFK, Amargi a été contributrice du réseau vanpurplesolidarity.

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L’avortement est un droit La décision appartient aux femmes.

Un autre événement récent, les Rencontres Féministes Transfrontalières a été organisé par Amargi et tenu les 26 et 27 mai 2012. Dans ce rassemblement international, les participants ont pu confronter leurs connaissances et les différentes expériences de personnes vivant dans différentes parties du monde. Cette volonté de partage des connaissances féministes par delà les frontières, nous permet de qualifier cet événement de rencontres de solidarité féministe. Depuis deux ans Amargi invite aussi les féministes à aborder des sujets spécifiques. Au début de chaque discussion des universitaires, des écrivains ou des activistes présentent le thème et lancent les débats. L’année dernière Amargi a publié le livre « Discussions Féministes 1 » qui réunit toutes les débats de l’année passée. Voilà comment nous essayons de contribuer au féminisme.

TE : Quel ont été les principaux défis pour les femmes, les minorités et les libertés en Turquie pour les 10 dernières années ? Que signifie en Turquie aujourd’hui être féministe et lutter pour les droits des minorités ? Quelle sera la place d’Amargi dans ces défis ?

Amargi  : Nous pouvons affirmer qu’en Turquie toutes les libertés, en particulier les libertés de la presse et d’opinion, régressent. Chaque jour au moins un journaliste, un intellectuel, un écrivain et un universitaire sont arrêtés arbitrairement à cause de leurs idées. De surcroit, chaque jour, 3 femmes sont assassinées par leurs maris, pères, frères ou partenaires, par jalousie, par suite d’actes de violence ou sous le prétexte de crimes d’honneur. Comme je l’ai dit précédemment, Amargi suit tous ces types d’affaires et les déclarations de presses liés aux libertés avec une très grande attention.

- Si vous voulez contribuer aux activités d’Amargi, contactez s’il vous plait l’association à l’adresse istanbul@amargi.org.tr ou par téléphone : +90 212 251 01 54

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Sources

Propos recueillis par Sevil Budak et traduits de l’anglais au français par Reynald Beaufort

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