Les aspects positifs retenus par de nombreuses ONG sont l’application de l’ensemble des mesures de cette nouvelle loi aux femmes mariées et non-mariées (clause essentielle qui fut réinsérée seulement suite aux vives protestations qui suivirent son retrait par le ministère en juillet 2011). Les mesures comprennent par exemple l’instauration de ‘centres de surveillance’ dans plusieurs villes et d’une assistance médicale gratuite pour les victimes au niveau de la prise en charge et du suivi. Sur le plan légal la proposition de loi prévoit entre autres la possibilité pour un juge d’émettre un ordre de protection sans demande préalable de preuve de violence et la facilitation d’instauration d’un périmètre de sécurité pour les victimes.
La proposition de loi est cependant fortement critiquée du fait qu’elle cible un aspect bien restreint quant à la question condition de la femme, à savoir sa protection légale. A la différence donc, des grandes tendances internationales qui mettent en avant l’importance de l’éducation et de la prise de conscience, la proposition de loi se concentre sur les mécanismes légaux. De plus, la critique prend pour cible les mécanismes d’application et de surveillance de cette nouvelle proposition de loi qui restent peu clairs.
Ces critiques trouvent leurs parallèles dans l’ensemble de l’approche qu’adopte l’AKP envers la question de l’égalité des genres. À ce jour les acquis sont surtout à chercher au niveau d’améliorations au plan légal comme cela est le cas avec la présente proposition de loi, dans le domaine du nombre de filles qui dépassent le niveau d’école primaire, et par la création d’une branche féminine au sein du parti.
Cependant la politique de l’AKP concernant les femmes est marquée par ce que les politologues Simten Coşar (Başkent University, Ankara) et Metin Yeğenoğlu (Middle East Technical University, Ankara) appellent un « nouveau mode de patriarcat » [1] qui viendrait remplacer les modèles républicain, religieux et libéral qui prévalaient jusqu’ici. Celui-ci se caractériserait principalement par la propagation d’un discours conservateur sur les droits de la femme et la réfutation de toute demande issue du camp féministe. Ce discours place la femme à l’intersection de la famille, de l’islam et de la morale, éléments qui délimitent très précisément la sphère légitime d’évolution de la femme, comme l’ont souligné les politologues Zana Çitak Aytürk et Özlem Tür (Middle East Technical University, Ankara) [2].
La domination de ce discours traditionaliste est le fruit d’une lecture monopolistique des demandes de la société Turque, c’est-à-dire qui tend à penser que les membres de cette société partagent le même ensemble de valeurs. La multiplicité des valeurs vis-à-vis du statut sociétal de la femme est nié et un seul modèle féminin érigé. Les politologues Zana Çitak Aytürk et Özlem Tür démontrent comment l’AKP s’affirme en tant qu’autorité ultime dans toute question relative à la morale. La responsivité du parti par rapport aux demandes de la société, et en particulier des femmes, étant faible, la définition de la réalité concrète de l’égalité des genres en Turquie semble être le pur produit d’une élite présenté comme la volonté générale.